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Discriminations à l’embauche et accès à l’emploi : état des lieux

« Le sentiment de discrimination est aujourd’hui largement répandu », prévient Anne Brunner, directrice des études à l’Observatoire des inégalités. Ainsi, une personne sur cinq dans la population âgée de 18 à 49 ans se souvient d’au moins une discrimination au cours de ces cinq dernières années, selon l’Ined et l’Insee. Un chiffre qui grimpe à 28% pour les descendants d’immigrés et à 32% pour les personnes nées outre-Mer. Focus sur le rapport sur les discriminations en France, publié pour la première fois par l’Observatoire des inégalités.

© Adobe Stock.
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Un candidat au nom français a près de 50 % de chances supplémentaires d’être rappelé par un employeur pour obtenir un rendez-vous qu’un candidat au nom maghrébin. Les chercheurs, qui ont envoyé des milliers de CV à des offres d’emploi réelles pour ces testings, ont ainsi constaté des écarts de comportement des employeurs, selon que le même candidat fictif avec le même CV et les mêmes expériences professionnelles et diplômes, porte un nom français ou un nom d’origine maghrébine.

Autre résultat probant, cette fois issu d’une étude du ministère du Travail : le taux de chômage est deux fois plus élevé pour les personnes immigrées que pour les personnes sans ascendance migratoire. « On peut l’expliquer en partie par le fait que la population immigrée est plus jeune, moins diplômée dans son ensemble, qu’elle comporte plus d’ouvriers et d’employés, et donc qu’elle est plus exposée au chômage. On parle là d’inégalité sociale », signale Anne Brunner, directrice des études à l’Observatoire des inégalités qui publie pour la première fois un rapport sur les discriminations réalisé, à partir de mesures d’écarts, de différents travaux et de testings.

Ainsi, le taux de chômage des immigrés d’Afrique est 2,25 fois plus élevé que pour les personnes sans ascendance migratoire. Le rapport révèle ainsi que « l’origine migratoire constitue en soi, pour certaines catégories d’immigrés, en particulier les descendants d'immigrés d’Afrique, un facteur de discrimination très net sur le marché du travail ».

Ces personnes se heurtent en plus aux inégalités sociales et liées à l'âge sur le marché du travail, avec un niveau de diplôme en moyenne plus faible. Ainsi, un cadre non immigré de 50 ans a, selon l’Insee, un risque d’être au chômage de 3,2 % en 2020. C’est six fois plus (19,6%), pour un employé immigré de moins de 30 ans, sous l’effet conjugué des discriminations et des inégalités sociales.

La responsable compare le parcours de ces différentes personnes discriminées à une « course d’obstacles » tout au long de leur vie, que ce soit pour accéder aux meilleurs masters ou pour l’accès aux emplois. A noter que les derniers testings réalisés ne détectent plus de discrimination envers les candidats à l’embauche qui résident dans un quartier défavorisé. Néanmoins, le chômage reste important dans les quartiers prioritaires, signale Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités.

5,4 millions d’emplois interdits

A ces discriminations s’ajoutent des discriminations légales. La loi interdit ainsi toujours aux étrangers non européens de postuler à plus de cinq millions d’emplois –policier, notaire, buraliste, en passant par agent des hôpitaux –, ce qui crée un désavantage massif. « Cela représente toujours un emploi sur cinq. C’est l’une des causes significatives du chômage des personnes étrangères », relève Anne Brunner. Pour l’essentiel (4,1 millions), il s’agit de postes de la fonction publique ou parapublique, comme celui professeur des écoles, et d’emplois dits « de souveraineté » (défense, impôts, police, diplomatie, etc). Mais plus d’un million de professions du secteur privé, souvent libérales, sont aussi difficilement accessibles aux étrangers du fait des conditions de diplôme requises ou d’une procédure d’autorisation préalable nécessaire pour exercer ces métiers. Il s’agit généralement de professions médicales ou juridiques. Il est toutefois possible de les exercer avec une nationalité étrangère, à condition de posséder un diplôme français ou d’obtenir une équivalence, mais « le processus de reconnaissance du diplôme étranger est très long, voire impossible, selon les professions », précise le rapport. En 2010, un rapport parlementaire avait dressé la liste des 50 professions fermées aux étrangers. Depuis, une douzaine ont été ouvertes, à l’instar des agents d’assurance et, plus récemment, des dirigeants d’établissements de pompes funèbres ou des patrons de café-bar.

Genre et handicap

Autres profils discriminés lors des entretiens d’embauche, les personnes en situation de handicap. Si les discriminations au sens strict existent à leur égard, les obstacles relèvent pour la plupart de « discriminations indirectes », relève le rapport. Ainsi, « les employeurs ne font pas les efforts nécessaires pour adapter les postes. Même la fonction publique d’État ne remplit pas son obligation d’emploi de travailleurs handicapés ». A savoir, que tout employeur public d'au moins 20 agents doit employer des personnes en situation de handicap dans une proportion de 6 % de l'effectif total. Ainsi, les personnes en situation de handicap sont beaucoup plus souvent au chômage, 12%, contre 7% pour l’ensemble de la population active.

Autre facteur de discrimination, le genre. Selon un testing réalisé entre 2019 et 2021 par l’Institut des politiques publiques (IPP) et le bureau d’études ISM-Corum, il n’existerait pas, en moyenne, de discrimination particulière de genre, lors de la première phase d’un recrutement. Mais les femmes continueraient de l’être au cours de leur carrière, y compris à la sortie de leurs études. Là encore, tout dépend des paramètres pris en compte. Ainsi, à niveau de diplôme et spécialité comparables, elles ont une probabilité plus faible d’être en emploi que les hommes, et moins de chances d’occuper un emploi stable, ainsi que de devenir cadres (18 % de femmes cadres, contre 21% chez les hommes). « Elles sont moins bien employées que les hommes, moins souvent cadres, plus souvent en CDD, y compris à diplôme équivalent en termes de niveau et de filière », commente Anne Brunner.

En termes de salaires, à temps de travail et poste comparables, les femmes gagneraient 4% en moins que les hommes, selon l’Insee, en 2020. En cause notamment ? Des stéréotypes sexistes qui opèrent très tôt, de manière diffuse, durant les apprentissages, au sein des familles et à l’école. Soit des rôles stéréotypés que la société continue d’attribuer aux femmes et aux hommes, ou au moment où filles et garçons « choisissent » des voies d’études et des métiers différents. Se mélangent alors des traitements différenciés de la part des enseignants. Par la suite, femmes et hommes exercent des les professions séparées, différentes. Reste donc, selon le rapport, à travailler sur les causes qui mélangent à la fois des « choix de vie, l’intériorisation des inégalités domestiques et professionnelles par les femmes, et le sexisme de certains employeurs ».

Charlotte DE SAINTIGNON