Le commencement d’une stratégie ferroviaire

En annonçant 100 milliards d’euros pour le fer, mais sans en préciser le financement, la Première ministre donne un début de réponse aux bouleversements climatiques et environnementaux.

Dans la cour de Matignon (le 20/09/2022), Elisabeth Borne, Christophe Béchu (Transition écologique et Cohésion des territoires) et Clément Beaune (Transports)
Dans la cour de Matignon (le 20/09/2022), Elisabeth Borne, Christophe Béchu (Transition écologique et Cohésion des territoires) et Clément Beaune (Transports)

Elisabeth Borne n’a décidément pas oublié qu’elle a été ministre des Transports. Le 24 février, la Première ministre a convié, à Matignon, les principaux acteurs de la mobilité, qu’elle avait assidûment fréquentés lorsqu’elle occupait ce poste, entre 2017 et 2019, et les années précédentes, en tant que patronne de la RATP. Officiellement, la cheffe du gouvernement recevait le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI), une instance consultative composée d’une vingtaine d’experts, élus, représentants d’entreprises et d’associations, chargée de déterminer quels projets il est raisonnable de faire aboutir et, à l’inverse, quels autres il convient d’abandonner.

L’exercice est salutaire. En effet, gouvernement après gouvernement, les promesses de liaisons autoroutières, lignes à grande vitesse, barreaux ferroviaires, canaux à grand gabarit, se succèdent, mais sans les financements. Dès le mois de décembre 2022, le député (Renaissance, Vosges) David Valence, président du COI, promettait des choix radicaux. A la mi-janvier, le rapport de 158 pages, stocké sur un serveur, protégé par de multiples pare-feux informatiques, était « craqué » par le média spécialisé Mobilettre. Le document propose trois scénarios de financement, baptisés « de cadrage budgétaire » (54,8 milliards d’euros pour la période 2023-2027), « planification écologique » (84,3 milliards) et « priorité aux infrastructures » (98 milliards). Il contient également une série de préconisations en matière de maîtrise des coûts, ainsi que sur l’opportunité de certains projets. Pour ne donner que quelques exemples, le COI adoube la ligne TGV entre Bordeaux et Toulouse ou le canal à grand gabarit Seine-Nord-Europe, mais remet en cause la réalisation complète de la ligne de fret ferroviaire entre Lyon et Turin.

Les revirements d’Emmanuel Macron

Ce 24 février, en arrivant à Matignon, les acteurs des transports ont donc eu largement le temps de parcourir le rapport et d’en analyser les enjeux. Mais la Première ministre a gardé pour ses invités une surprise : un plan de 100 milliards d’euros pour le ferroviaire d’ici 2040, au-delà du scénario le plus volontariste proposé par le COI. Dans ce qui ressemble à une stratégie à long terme, Elisabeth Borne veut favoriser la régénération des lignes existantes plutôt que les grands projets, les transports du quotidien aux dépens des lignes à grande vitesse, le fer plutôt que la route.

C’est à peu près ce que promettait déjà, en juin 2017, le président de la République le jour de l’inauguration de la ligne à grande vitesse Paris-Rennes. Dans la fougue des premières semaines à l’Elysée, Emmanuel Macron avait surpris, prenant à contre-pied les habitudes délétères de ses prédécesseurs. Il avait alors confié à Elisabeth Borne, sa ministre des Transports, l’organisation des « Assises de la mobilité », trois mois de concertation débouchant sur la loi d’orientation des mobilités de 2019. Mais depuis, tout a changé, et pas seulement à cause des « gilets jaunes » et de la pandémie. En 2021, à l’approche de l’élection présidentielle, en accord avec un Premier ministre, Jean Castex, très porté sur les investissements ferroviaires, Emmanuel Macron avait relancé les projets de lignes à grande vitesse.

Le plan promis par Elisabeth Borne ressemble donc à une reprise en main. La SNCF bénéficiera d’un milliard de plus chaque année pour régénérer ses voies, afin de limiter les pannes intempestives. L’engagement de la cheffe du gouvernement porte aussi sur les « RER métropolitains », services ferroviaires fréquents autour des grandes villes, annoncés par Emmanuel Macron, en novembre dernier. La réalisation en sera confiée à la Société du Grand Paris, une émanation de l’Etat chargée de construire le super-métro Grand Paris Express en Ile-de-France. Le fer sera prié de cultiver « l’intermodalité » avec le vélo. A l’inverse, les projets routiers seront « réinterrogés » à l’aune de leur utilité.

« C’est la première fois qu’on parle de planification écologique », se réjouit l’eurodéputée écologiste Karima Delli, membre du COI, favorable à un « ticket climat à la française », en référence à l’abonnement au chemin de fer à 49 euros par mois décidé par le gouvernement allemand. Les acteurs des transports, le Groupement des autorités responsables des transports (élus), l’Union des transports publics (opérateurs), la Fnaut (usagers des transports publics) et la FUB (usagers du vélo), ainsi que les mouvements environnementalistes, ont tous salué les annonces.

Les réticences de Bercy

Mais les bonnes intentions ne suffisent pas. Ce sont les collectivités locales qui devront mettre en œuvre les projets correspondant aux grandes orientations. Or, les élus ne partagent pas tous les mêmes objectifs. Ainsi, la région Auvergne-Rhône-Alpes reste attachée au gigantesque projet Lyon-Turin, même si le trafic de marchandises entre la France et l’Italie a plutôt baissé depuis vingt ans, conséquence de la désindustrialisation. Dans l’Aveyron, le passage à deux fois deux voies d’une route nationale n’est pas considéré comme prioritaire par le COI, car le trafic y demeure inférieur à 10 000 véhicules par jour. Mais le président du département, Arnaud Viala (divers droite), demeure « déterminé » à faire fléchir l’Etat.

Un autre écueil attend le plan Borne : son financement. Même si l’Etat annonce 100 milliards d’euros d’ici 2040, il ne devrait en délivrer que le quart. Les autres ressources seront à chercher, auprès de l’Union européenne, des concessionnaires d’autoroutes ou des compagnies aériennes. Le Syndicat des compagnies aériennes autonomes (Scara), qui réunit la moitié des entreprises de l’industrie aérienne française, a déjà annoncé qu’il était hors de question de contribuer. Le sénateur socialiste (Meurthe-et-Moselle) Olivier Jacquin s’étonne, pour sa part : « lors de la discussion parlementaire sur le budget 2023, tous les amendements visant à atteindre cette ambition budgétaire avaient été balayés d’un revers de la main ». Le ministère de l’Economie, qui n’était pas invité le 24 février à Matignon, va devoir trancher. Or, dans les différents scénarios proposés par le COI, Bercy affichait, dès la fin de l’année dernière, sa préférence : le moins dépensier.