Les entreprises « à mission », compatibles avec la rentabilité

Rechercher un impact social ou environnemental n'est pas incompatible avec la performance économique, témoignent deux entreprises à mission. Bien au contraire... Mais la démarche, très structurante, implique un pacte clair avec les actionnaires.

Photo d'illustration Adobe Stock
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Les « entreprises à mission », promues par la loi Pacte de 2019, une belle utopie ? Les déboires de Danone, l'une des premières entreprises à avoir adopté ce statut, et obligée de licencier durant la crise sous la pression des actionnaires, a fait douter... Mais pour des entrepreneurs pionniers, qui n'ont pas attendu la loi pour donner une finalité autre qu'économique à leur société, la démarche peut se révéler gagnante sur tous les plans. Ils témoignaient, lors d'une visioconférence « Entreprises à mission….mission accomplie ? », organisée le 11 mars par Léa Nature. Son président et fondateur, Charles Kloboukoff, et Emery Jacquillat, président de la Camif, ont aujourd'hui opté pour le statut de société à mission prévu par la loi Pacte. Ils l'ont dotée d'une « raison d'être », inscrite dans les statuts. « C'est la formalisation d'une démarche qui durait depuis 25 ans », explique Charles Kloboukoff. Dès l'origine, en effet, Lea Nature a proposé « des produits naturels, bio, qui ne comportent pas de risques sanitaires et qui respectent la nature », précise le dirigeant. La Camif, elle, s'est lancée dans la consommation responsable et la promotion de la production locale à partir de 2009. Originellement coopérative d'instituteurs qui, dans les années 2000, partaient à la retraite, l'entreprise s'était vue dans l'obligation de chercher de nouveaux clients. Elle avait alors décidé de revoir complètement son positionnement .

Renoncer au budget publicité

Une démarche qui n'a pas été sans difficultés. « nous avons mis deux ans et demi à formuler notre mission (…). Cela prend beaucoup de temps », notamment parce qu'il est nécessaire d'impliquer toutes les parties prenantes dans le processus prévient Emery Jacquillat. Et les implications sont lourdes, qui impactent le fonctionnement même de l'entreprise. Par exemple, en s'engageant dans l'économie circulaire, l'entreprise a fait évoluer son offre de produits, incluant notamment plus de matériaux recyclés. Pour cela, « nous sommes passés de distributeur, avec un travail de sélection, à éditeur. Nous avons pris la main sur la conception de produits. Cela représente un changement de métier », illustre Emery Jacquillat. Par ailleurs, les implications financières sont très importantes, souligne Charles Kloboukoff : « pour faire des choix énergétiques comme l'écoconception des bâtiments et des unités de production, nous avons recouru aux énergies renouvelables, avec un retour sur investissement beaucoup plus long. Cela suppose des arbitrages. Nous n'avons pas fait de publicité, et, au démarrage, nous avons restreint notre équipe marketing ».

Pour limiter l'impact climatique de son activité, Lea Nature a développé un sourcing « bio et local » de ses produits, consacrant 5% des bénéfices du groupe à la structuration de la filière, et implanté ses unités de production le plus près possible des champs, afin de limiter le kilométrage... Même le choix des véhicules a été adapté, excluant notamment le diesel. De plus, l'entreprise verse chaque année 1% du chiffre d'affaires de 18 marques, soit 2,6 millions d'euros de dons, à des associations de protection de la nature.

La performance au rendez-vous

Si la démarche est très contraignante, elle s'avère aussi source de performance, témoignent les deux pionniers. Clairement, elle engendre un effet d'image positif auprès de différents publics. « Cela crée une vrai différence dans l'esprit des clients et des collaborateurs, et suscite l'adhésion », estime Charles Kloboukoff, qui mesure cette empathie dans l'augmentation des candidatures spontanées reçues par l'entreprise et la fidélité des clients.

A la Camif, les salariés sont fiers de participer à un projet qui contribue, par exemple, à « soutenir des emplois en France et préserver des savoir-faire », estime Emery Jacquillat. De plus, « cela représente un levier pour attirer de nouveaux clients, qui sont alignés sur les valeurs que nous prônons », ajoute-t-il. Pour lui, si en 2020, l’entreprise a connu une forte croissance, c'est en partie lié « au passage à l'acte des consommateurs vers une consommation plus locale, plus responsable. La Camif apparaît comme la marque la plus engagée dans son secteur ». Au total, « il existe une corrélation claire entre performance économique et impact sur les enjeux environnementaux et sociaux », juge Emery Jacquillat.

Dans sa démarche, la Camif est accompagnée, depuis sept ans, de Citizen Capital, fonds d'investissement spécialisé dans les entreprises à impact. « La Camif avait du mal à trouver des investisseurs, qui bloquaient sur le fait que le centre de relation clients était basé à Niort. Les investisseurs estimaient qu'il fallait délocaliser. Pour nous, l'entreprise était en train de construire une marque à valeur stratégique forte », relate Laurence Méhaignerie, co-fondatrice de Citizen Capital. Depuis 12 ans, ce dernier investit dans des entreprises qui cherchent à générer un impact social ou environnemental associé à un rendement financier.

Un « cadre structurant »

En matière d'actionnariat, il est important de choisir « des personnes qui ne restent pas concentrées sur l'Ebitda à trois mois, mais regardent sur le long terme », souligne Emery Jacquillat. Pour lui, c'est l'un des avantages qu'apporte le dispositif de la loi Pacte : une relation claire avec les actionnaires. Et ce n'est pas le seul. Le statut d'entreprise à mission a permis « d'inscrire le projet de la Camif sur le temps long et de le sécuriser », ajoute-t-il. Plus largement, Charles Kloboukoff , qui avait créé une « communauté » des entreprises à mission dès 2018, estime que la loi offre un « cadre structurant » aux dirigeants désireux de s'engager, mais qui ne savent pas nécessairement comment s'y prendre. Pour lui, le risque que les entreprises surfent sur cette vague uniquement pour des effets d'annonce est limité : celles qui seraient tentées de le faire seraient immédiatement repérées par leurs collaborateurs, à même de mesurer l'éventuel écart entre un discours et des actes.


D'après l'Observatoire des sociétés à mission, 88 le sont devenues en 2020, et 10 000 entreprises pourraient faire évoluer leurs statuts, d’ici 2025. Pour l'instant, les deux tiers d'entre elles sont des TPE et des PME de moins de 50 salariés. Près de 80% agissent dans le domaine des services. Leur répartition géographique est très inégale : l’île-de-France en concentre à elle seule 62%, suivie par l’Auvergne-Rhône Alpes, l’Occitanie et les Hauts-de-France. Et ces entreprises sont plutôt jeunes : plus de la moitié d’entre elles ont été créées, il y a moins de 10 ans. Et une sur cinq est «née à mission ».