A quoi ressemblera le monde transformé par la pandémie ?

      A quoi ressemblera le monde transformé par la pandémie ?

 Des petites communautés ultra-locales qui s’efforcent d’atteindre l’autosuffisance, des Gafa toujours plus puissants qui savent tout d’un citoyen consentant ? Ce sont deux des quatre scénarios pour l’avenir, dessinés par L’Échangeur BNP Paribas.

Le monde ne sera jamais plus le même…Le 22 avril, au cours d’un webinaire, des analystes de l’Echangeur de BNP Paribas, structure d’accompagnement des entreprises,  ont dessiné quatre scénarios sur ce que pourraient devenir commerce et consommation  à l’issue de la pandémie. Avec un pré-supposé : la crise actuelle ne fait finalement qu’exacerber celle pré-existante du système en place. Le premier scénario,  «Star systèm», prévoit  une poursuite du modèle actuel, le deuxième, «Life control» dessine un modèle très centralisé. Celui, «Made locally» est basé sur l’entraide et la proximité. Quant à «Earth in progress», il décrit une recherche de solutions globales.

Premier des scénarios, donc «Star system» : c’est «le monde d’avant en mode exponentiel», résume Nicolas Diacono, analyste à L’Echangeur. Dans ce monde là, des entreprises déjà fragiles disparaissent. A contrario, «pendant la crise, des leaders se positionnent comme des héros de guerre», pointe Nicolas Diacono. Exemples, LVMH, groupe spécialisé dans le luxe, va jusqu’à organiser un pont aérien pour rapatrier des masques de Chine. Quant à Nike,qui commercialise des produits pour le sport, il fabrique des visières, fait campagne pour promouvoir le sport à la maison, tout en proposant des promos sur ses produits…Bref, ces «leaders» pourraient voir leur place confortée à la faveur de la crise. A terme, ce sont des marchés cristallisés autour d’un acteur principal qui pourraient se constituer.  Dans ce scénario, «l’usage des outils digitaux connaît une accélération drastique», encore boostée par la crise,  note Nicolas Diacono. Avec la pandémie, la France compte 2,5 millions nouveaux e-acheteurs. Les enseignes s’adaptent : les drive piétons se multiplient. Le «shop streaming », – sorte de télé-achat sur Internet -, déjà populaire en Chine, fait son apparition…

Un scénario  orwellien déjà très largement acté 

Les analystes ont choisi le titre à résonance légèrement orwellienne de «Life control», pour le deuxième scénario. La pandémie, qui place la question de la santé des individus en première ligne, pourrait en accélérer drastiquement la réalisation. Décliné dans une version politique autoritaire, ou au contraire, ultra libérale, ce scénario est basé sur un compromis : les data personnelles des citoyens en échange de leur santé. En Chine, le scénario est déjà réalité, co-écrit par un état autoritaire et un géant du commerce en ligne, Alibaba. Ce dernier a développé  le dispositif  «QR Health code», qui  identifie les individus et les qualifie en fonction du potentiel risque sanitaire qu’ils représentent, pour les autoriser ou pas à se rendre dans des lieux publics. Dans les villes, quelque 600 millions de caméras ajoutent une strate de surveillance…Aux États-Unis aussi des collaborations «public-privé» se développent, à l’image de celle entre Facebook et une université californienne. Objectif : proposer une carte des mouvements de la population en fonction de critères de santé. Les populations semblent consentantes : en France, 62% des individus seraient d’accord pour utiliser l’application stop-Covid, envisagée afin d’empêcher la création de nouveaux clusters d’infection. Et ce ne sont là que des prémisses d’un monde nouveau, où les Gafa pourraient jouer un rôle central.

A ces dynamiques déjà en œuvre, en effet, il faut ajouter l’apport des objets connectés (montres, assistants numériques…) en ligne de mire de tous les grands du numérique. L’idée ? Le «forfait de vie».  Amazon, par exemple, fournit déjà alimentation, jeux vidéo, assurances… et santé : Le tout est proposé par Alexa, l’assistant numérique de l’entreprise. Y compris, depuis un an, un service  «Amazon care», avec consultation médicale à distance, visite…C ‘est ainsi que se dessine un monde où  les Gafa pourraient jouer le rôle  de pourvoyeurs universels de services indispensables, rendus à un individu qui leur a remis les clefs de son intimité.

Éternelle tension entre éclatement et unité

A rebours de ce monde très concentré, dans le troisième scénario,  «Made locally», «les consommateurs sont au cœur du système», analyse Nicolas Diacono.  Là aussi, la crise a renforcé une tendance existante, l’intérêt pour le commerce de proximité (+ 30% ). Par exemple, les drives fermiers ont connu un essor imprévu. Le déploiement s’est appuyé «principalement sur du bouche-à-oreille», estime Nicolas Diacono. Autre facette de ce scénario, il s’inscrit dans un «activisme local», comme l’illustre le succès du site internet https://soutien-commercants-artisans.fr,  où les consommateurs ont acheté des bons d’achat  pour soutenir les petites boutiques. Par ailleurs, «le local constitue une réponse stratégique à une souci de pérennité alimentaire», ajoute Nicolas Diacono. Dans ce cadre, la technologie pourrait avoir un rôle à jouer, notamment via le déploiement des fermes urbaines (cultures hors sol) et les impressions 3D, une technologie qui permet de «ré-industrialiser les villes».

Le dernier scénario,  celui de «Earth in progress», passe par une action collective de refonte des modèles économiques et sociaux actuels et de révision des priorités. D’après Cécile Gauffriau, directrice de l’Echangeur, les entreprises sont en effet soumises à des «injonctions contradictoires» : être très solides économiquement et contribuer à l’intérêt général. Pour en sortir, elles pourraient générer des modèles différents, impliquant notamment des collaborations avec les consommateurs. Ces derniers, de leur coté, remettent en cause leurs comportements de sur-consommation…«Il n’y aura pas un seul scénario», prévoit  Cécile Gauffriau, pour qui ces schémas renvoient à des temporalités différentes. Ils renvoient, en tout cas, à des dynamiques pour certaines antagonistes, dont le conflit se réglera dans l’avenir…

 

Anne DAUBREE