La 5G et les dessous d’infrastructures « privatives »

Quelles sont les ouvertures de la 5G pour une utilisation sur des infrastructures privées ? Quels acteurs vont s’affronter ? Pour quelles applications ? Décryptage.

La 5G et les dessous d’infrastructures « privatives »

La 5G avive beaucoup d’appétits, y compris celui des GAFAM [Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft...]. Elle a été conçue pour couvrir un grand éventail de services, depuis les objets connectés à bas débit jusqu’aux très, très hauts débits sur courte distance. Elle va fonctionner sur un très large spectre de fréquences combinant large couverture et hauts débits jusqu’au WiGig, le wifi du futur sur une dizaine de mètres. Ainsi, grâce à la technologie du ‘tranchage’ (« slicing ») en sept canaux parallèles, il sera possible d’utiliser des fréquences millimétriques pour des débits jusqu’à 20 Gbps sur 50 à 200 mètres.

Actuellement, les fréquences disponibles en France, en Europe sont encore limitées (2,6 ou 3,5 GHz et 700 / 800 MHz, mais aussi 26 GHz) . D’autres sont attendues : 2 GHz puis 42 ou 66 GHz, etc. Progressivement, tous les espaces radio libérables sont sollicités !

Des réseaux discriminants ?

Cette large ouverture de la 5G va permettre le déploiement de réseaux dits « privés » ou plutôt des « réseaux dédiés », car, en réalité, il va s'agir de réseaux virtuels. Seront-ils discriminants ? Oui, ils peuvent l’être. Mais c'est le marché et la réglementation qui doivent réguler. On est à l’opposé du concept de « neutralité du net », concept poussé par les GAFAM pour leur permettre de "pomper" la valeur des opérateurs télécoms et de se soustraire aux coûts du transit des données.

Créer des réseaux privés mobiles, ce sera comme ouvrir des voies prioritaires sur une autoroute : les véhicules de secours ont priorité, mais durant un laps de temps. Ils n’empêchent pas la circulation normale de se rétablir. ll y a un code de la route, une régulation. C’est le rôle de la réglementation dans les télécoms.

En Allemagne, il est question d’ouvrir le marché de la 5G à de nouveaux opérateurs privés, à de très grands industriels, par exemple. Mais personne ne se presse au portillon. Car personne n’a les moyens d’investir dans de nouvelles infrastructures radio, notamment l’installation des antennes sur des points hauts. Or, fragmenter les fréquences revient à créer de nouvelles infrastructures.

La tendance est donc à l’inverse : la mutualisation d’infrastructures partageables, dites « passives ». La France, comme le Japon, choisit plutôt cette option. Sauf exceptions… Car Aéroports de Paris, via sa filiale Hub One, et en lien avec Air France, a obtenu en janvier 2020 l’attribution de fréquences 4G/5G professionnelles pour 10 ans (dans la bande des 2,6 GHz TDD). Cet opérateur indépendant, qui sert 1 000 entreprises et 120 000 salariés sur Roissy, Orly et le Bourget, prévoit de déployer de nouveaux services visant à « optimiser la fluidité et la sécurité des opérations critiques et de l'expérience client », dont la traçabilité des bagages, la PMR (appels radio à toutes les équipes) ou projets de navettes autonomes outre des véhicules connectés. L’infrastructure 5G sera réalisée par l’équipementier suédois Ericsson.

Des infrastructures très coûteuses

Il reste que les infrastructures 5G vont nécessiter de construire beaucoup de petits sites physiques répartis, proches des lieux d’utilisation et hébergeant des serveurs d’application virtualisées. Ici vont s’insérer des opérateurs de plateformes Cloud localement.

Pour contrer les GAFAM, certains vont utiliser des points de présence à la demande (‘Pops’ « as a service », cf. la start-up Stackpath). Les opérateurs en Europe, pour des raisons de souveraineté, vont préférer se tourner vers des fournisseurs locaux pour construire cette infrastructure Cloud « edge », c’est-à-dire en périphérie. Ces plateformes, utilisant des machines virtuelles, devront être ouvertes et interopérables (cf. norme MEC, multi-access cloud à l’ETSI).

Ceci permettra de déployer des « réseaux radio d’accès ouverts », dits Open RAN, aptes à supporter des applications virtualisées et conteneurisées, par exemple, pour le traitement d’images en local.

Côté applications, le champ ne cesse de s’ouvrir. Outre les aéroports, ports, usines et sites énergétiques, industries minières et pétrolières, il faut compter avec les grands établissements de santé, organismes de recherche, campus universitaires, mais aussi les collectivités d’une certaine taille.

Un rapport de l’équipementier télécom Ericsson (Future of Enterprises, novembre 2021) estime que 83% des entreprises manufacturières vont doubler l’utilisation d’outils ‘high tech’ dans les cinq prochaines années, tels que les logiciels d'IA (intelligence artificielle), l’analyse d’images, la réalité augmentée, les véhicules autonomes et les exosquelettes. Elles prévoient de déployer leurs outils de production sur des réseaux 5G.

Chez Nokia, autre équipementier télécom, deux grands services de la 5G sont mis en avant : les très hauts débits (eMBB) et les accès sans fil fixe (FWA) pour remplacer la fibre optique, là où elle est trop coûteuse à installer. En termes d’innovations, sont mentionnées les applications « immersives » (réalité augmentée en temps réel et les jeux) et les sites industriels très automatisés (robotique, etc.). Autre cible : le monde médical, utilisateur de capteurs IoT (objets connectés), avec la chirurgie robotique, le suivi des patients à distance, les ambulances connectées, etc.

Pierre MANGIN