Tribunal de commerce

Malgré la baisse des défaillances, le tribunal de commerce de Rouen reste prudent

Alors que l'année 2020 marque une baisse considérable des procédures collectives, le tribunal de commerce veut anticiper les difficultés des entreprises, actuellement préservées par les aides de l’État. Explications avec Gérard Schocher, président du tribunal de commerce de Rouen.

Gérard Schocher est le président du tribunal de commerce de Rouen. (©Gazette Normandie/Chl.G.)
Gérard Schocher est le président du tribunal de commerce de Rouen. (©Gazette Normandie/Chl.G.)

L'économie a tourné au ralenti en 2020. Et cela s'est ressenti au tribunal de commerce de Rouen avec une baisse dans tous les domaines de l'activité juridictionnelle. Une baisse de 50% des procédures collectives a été enregistrée pour l'année 2020. « Mais ce n'est pas parce que les entreprises vont bien », nuance Gérard Schocher, président du tribunal de commerce de Rouen. Et d'expliquer : « C'est la conséquence directe des aides de l’État, ça prouve qu'elles ont fonctionné mais, à terme, il va y avoir des réajustements qui vont se faire. Ces réajustements se feront quand il n'y aura plus d'aides. […] En ce moment, on gagne du temps. » Il redoute que des « pans entiers d'activités » se présentent devant le tribunal de commerce au cours de cette année.

Car, les acteurs économiques redoutent une flambée des défaillances d'entreprises en 2021. « Après le premier confinement, on attendait un rebond des défaillances en septembre, pensant que la pandémie n'allait pas s'installer. Après, on pensait que c'était pour début 2021. Le gouvernement a pris à nouveau des dispositions, notamment sur le remboursement des PGE... », explique Gérard Schocher.


Anticiper les difficultés

Les juges commerciaux veulent anticiper les difficultés, mais pour cela le président du tribunal de commerce demande des « outils » pour détecter les entreprises fragilisées. « Si le chef d'entreprise ne se présente pas spontanément, c'est difficile de pouvoir avoir une identification des difficultés », explique Gérard Schocher.

Le tribunal dispose aujourd'hui de critères pour identifier une entreprise fragilisée : injonctions de payer, inscriptions que les organismes officiels font au RCS, indications des commissaires aux comptes. « Le seuil des inscriptions au RCS ont été relevés, alors les chiffres qui avaient du sens avant, n'en ont plus vraiment », souffle le président du tribunal de commerce. Et d'ajouter : « Le nombre de commissaires aux comptes va être réduit. Ils ont l'obligation d'alerter quand ils constatent une situation de nature à compromettre la poursuite de l'exploitation. Ces constatations ont un an de retard, c'est déjà trop tard. »

Gérard Schocher souhaite un retour des indicateurs venant de l'URSSAF. « Avant, l'URSSAF informait le tribunal des retards de paiement des cotisations sociales. Quand on voyait que les cotisations étaient en retard de règlement, on s'intéressait aux entreprises », explique-t-il. Ces informations ne sont plus communiquées au tribunal au titre de la loi informatique et liberté. « Le tribunal dispose de moyens pour aider l'entreprise à régler ses difficultés mais on le prive des outils qui pourraient les détecter », lance-t-il.


Des moyens de prévention mal connus

Par ailleurs, les moyens pour aider les entreprises mis en place par le tribunal semblent mal connu. Et pourtant, ils permettent à un grand nombre de sociétés de s'en sortir. « 75% des entreprises qui viennent au tribunal dans une procédure amiable de prévention s'en sortent », contextualise le président du tribunal de commerce. Alors qu'environ 80% des entreprises en redressement s'orientent vers la liquidation judiciaire.

« Les entreprises n'ont pas recours aux procédures de prévention parce qu'elles sont mal connues, mais aussi parce qu'il y a un déni de réalité du chef d'entreprise qui pense qu'il va s'en sortir », affirme Gérard Schocher. Le coût de ces procédures peut également freiner les dirigeants - « mais certaines aides permettent de rendre le rendre acceptable » -, tout comme le sentiment de honte. « On ne parle pas de nos difficultés, parce qu'on a honte », avait déclaré une cheffe d'entreprise à Alain Griset, ministre des PME lors de sa visite à la CCI de Rouen. « Nous ne pouvons que le constater, déclare Gérard Schocher. La honte, c'est un constat d'échec, ça fait partie de notre mental collectif. Mais, aujourd'hui, aux Etats-Unis par exemple, un chef d'entreprise ne ressent pas cette honte. On dit même qu'il faut se mettre sous la protection du tribunal trois fois avant de faire fortune. Cela montre bien que l'échec n'est pas culpabilisant. »

Pour encourager les chefs d'entreprises en difficulté à se présenter, le tribunal de commerce multiplie les actions de sensibilisation auprès des experts-comptables, des campagnes d'information ou encore des formations auprès des conseillers de la CCI. Une cellule prévention, réunissant plusieurs juges, est accessible au tribunal de commerce. « On reçoit la personne sans la robe, en l'informant que l'échange est strictement confidentiel », rappelle le président du tribunal de commerce. Et de rassurer : « C'est un chef d'entreprise qui reçoit un chef d'entreprise, qui a pu dans sa vie professionnelle connaître des difficultés. »

Chloé Guérout


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LES CHIFFRES CLES DE 2020

- Malgré la crise, l'entrepreneuriat attire toujours. Le nombre de création d'entreprises est resté stable avec 4 157 immatriculations au RCS, contre 4 153 en 2019.

-  Une diminution de 50% des procédures collectives, avec 252 ouvertures de procédures collectives (sauvegardes, redressements judiciaires, liquidations judiciaires) contre 499 en 2019.

- Les procédures de prévention (entretiens de prévention, mandats ad hoc, conciliations) ont baissé de 38%, avec 4 procédures de prévention contre 119 en 2019.

-  3448 salariés concernés par l’ouverture de procédures collectives et de procédures de prévention contre 4 069, en diminution de 15%.