À contrecœur, les Européens s'adaptent à une vie sans contact

Malgré eux, les Européens se sont pliés à une vie « sans contact » imposée par la pandémie, d'après l'Observatoire Cetelem. Une partie au moins de ces pratiques devraient perdurer, dont le télétravail, engendrant des changements pour plusieurs secteurs.


Photo d'illustration Adobe Stock
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« Le "sans contact" est devenu une réalité quotidienne pour l'écrasante majorité des Européens », explique Flavien Neuvy, directeur de l'Observatoire Cetelem. En mars, lors d'une conférence de presse en ligne, il présentait l'étude annuelle sur la consommation intitulée Le "sans contact" prend la main sur nos vies.

Avant tout, les chiffres confirment que « le moral des Européens baisse fortement, par rapport au début de l'an dernier », précise Flavien Neuvy. Ils attribuent une note de 5,4/10 à l'état de leur pays, en baisse de 0,7 point par rapport à 2020. Dans ce contexte morose, les intentions de dépenser diminuent : les Européens ne sont que 34% à vouloir augmenter leurs dépenses dans les mois qui viennent, contre 40% l'an dernier. En 2012, au lendemain de la crise financière, ces intentions étaient beaucoup plus élevées ( 50%). Mais ce différentiel s'explique aussi par l'évolution des pays de l'Est, qui ont, depuis, comblé en partie leur retard en matière de consommation. En France, cette année la chute est de 6 points, passant de 35 à 29%.

A contrario, « les intentions d'épargne des Européens augmentent », constate Flavien Neuvy : 54% d’entre eux entendent l’accroître, contre 51% l'an dernier, et environ 30% dans les années 2012. De fait, la Banque de France estime que les ménages ont épargné 200 milliards d'euros entre 2020 et 2021. Difficile, dans ce contexte, de prédire l'avenir. Toutefois, « l'hypothèse la plus probable, c'est qu'une envie de consommer va revenir, mais une partie de l'épargne se transformera en épargne de précaution », estime l'analyste. Parmi les paramètres qui impactent potentiellement la consommation, la perception de la hausse des prix. Au terme d'une année où l'inflation a été très faible, 70% des Européens estiment que les prix ont augmenté. En cause : l'augmentation de prix de certains produits, comme le carburant, sujet sensible. Or, cette tendance à la hausse pourrait se poursuivre les mois qui viennent, induisant des arbitrages vers l'épargne.

Les Européens se sont adaptés à contrecœur

Impact majeur de la pandémie, le développement d'une vie « sans contact », au sens large, « est plutôt mal vécu (... ), elle génère une fatigue psychologique chez les Européens », constate Flavien Neuvy. Le jugement est assez tranché : 73% estiment que les aspects négatifs l'emportent, un score qui grimpe à 81% chez les Français. Partant, les trois premiers termes associés à cette vie sont la solitude, la tristesse et la difficulté. Ce n'est qu'au quatrième rang que l'on trouve un terme positif : la praticité. Toutefois, « l'Europe est fragmentée sur ces questions. C'est une question culturelle, de mode de vie, avec des interactions sociales différentes », note l’expert. Les Portugais ne sont que 39% à trouver des aspects positifs à cette vie sans contact, un score qui monte à 72% chez des Anglais. Parmi les Européens, 60% se disent « contraints » à cette nouvelle vie. L'absence de contact n'est jugé positive qu'en ce qui concerne la sécurité sanitaire. Pour le reste, les liens familiaux, la solidarité entre générations, la confiance, les relations amoureuses... « le négatif l'emporte », pointe Flavien Neuvy. Mais en dépit de ces aspects négatifs, « les Européens ont eu une faculté d'adaptation plutôt bonne », constate-t-il : 66% d'entre eux ont trouvé facile de s'adapter. Parmi les pratiques jugées simples, figure, en premier lieu, le shopping en ligne, par près de huit Européens sur 10. « c'est le grand gagnant de la crise », analyse Flavien Neuvy. Suivent le fait de s'informer via des écrans, au lieu de médias papier, pour plus de 7 Européens sur dix, et le paiement sans contact.

Les scores sont beaucoup plus bas, concernant le fait de ne pas se serrer la main ou sur les rencontres amoureuses. Au total, à la question de savoir si les innovations techniques permettent de compenser l'absence physique, « la réponse est non », tranche Flavien Neuvy. Pour les trois quarts des répondants, l'absence de contact dégrade les relations humaines. Et si nombre d'Européens ont découvert l'usage de réseaux sociaux pour maintenir le lien avec leurs proches à l'occasion des confinements, la même proportion estime que cela n'a pas compensé les contacts physiques.

Des lendemains numériques inéluctables ?

Que restera-t-il de tous ces nouveaux usages, de cette vie sans contact, largement investie par les Européens, mais peu appréciée ? 80% d'entre eux jugent probable que le « monde d'après » comportera plus de « sans contact » qu'avant. « La crise sanitaire nous a fait adopter des pratiques sur lesquelles nous ne reviendront pas », estime Flavien Neuvy. Parmi ces nouvelles pratiques, certaines constituent de véritables enjeux socio-économiques pour l'avenir, au premier chef duquel le télétravail. « Nous n'en mesurons pas encore toutes les conséquences, à moyen et à long terme », considère Flavien Neuvy. Dans la majorité des cas, (67%), les Européens estiment qu'il « fonctionne bien », un score qui grimpe à 79% en Suède, mais descend à 61% en France. Et il est probable que la réponse comporte un jugement technique, les réseaux numériques ayant été à la hauteur. Mais pour la suite, 41% des Européens précisent préférer une solution « mixte » (bureau et maison) au télétravail à temps complet. Cette potentielle évolution peut avoir des conséquences sur plusieurs secteurs. En particulier, travailler deux jours par semaine en entreprise, par exemple, « implique une relation avec son domicile, et une relation domicile-lieu de travail complètement différente », analyse Flavien Neuvy. Immobilier, décoration et aménagement d'intérieur... Autant de secteurs qui vont être durablement impactés.

Parmi les autres pratiques qui se sont déployées avec la crise, figure également la télémédecine, au sens large, qui inclut, par exemple, la prise de rendez-vous en ligne. «Il s'agit d'un sujet majeur qui est devant nous », estime l’expert. 45% des Européens trouvent que cela fonctionne bien, un score qui grimpe à 53% en France. En dépit du lien fort entre les Français et leur médecin traitant, les pratiques développées durant la crise pourraient ouvrir la voie à des nouveautés, dans ce domaine.