Adaptation au changement climatique : la Cour des comptes juge le bilan de l’action publique insuffisant

Dans son rapport public annuel 2024, la Cour des comptes dresse un bilan des politiques publiques en faveur de l’adaptation au changement climatique et propose plusieurs pistes d’amélioration. Elle incite notamment l’État à mieux planifier, et coordonner les différents acteurs

(c) Adobe Stock
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Après avoir dressé un bilan de la réponse de l’État à la crise sanitaire, en 2022, puis le bilan de 40 ans de décentralisation, en 2023, les juridictions financières ont choisi de consacrer l’édition 2024 de leur rapport public annuel à l’action publique face au changement climatique et, plus précisément, « à l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique », a souligné le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, lors de la présentation du rapport à la presse. Il ne s’agit donc pas des politiques d’atténuation, qui visent à limiter le changement climatique lui-même, mais des politiques d’adaptation, c’est à dire « l’ensemble des mesures qu’il faut prendre aujourd’hui et qu’il faudra prendre dans les années à venir pour continuer à vivre de façon supportable dans un climat qui aura profondément changé », a-t-il expliqué.

Des politiques multiformes, spécifiques à chaque territoire, et dont le coût est difficile à chiffrer

L’Union européenne s’est dotée d’une stratégie d’adaptation au changement climatique depuis 2013, renouvelée en 2021. En France, le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) est complété par des stratégies sectorielles. « L’adaptation n’est pas une préoccupation aussi ancienne que la réduction des gaz à effet de serre », mais la question est désormais « au cœur de l’action publique » et « pose de nombreux défis », a poursuivi Pierre Moscovici.

Tout d’abord, les politiques d’adaptation sont multiformes du fait de la grande diversité des phénomènes concernés – températures globalement plus élevées, hausse du niveau de la mer, fonte des glaciers, érosion du littoral, tempêtes très violentes, inondations, sécheresse, vagues de chaleur extrêmes… – et elles sont « spécifiques à chaque territoire, chaque région, chaque commune, jusqu’à une très petite échelle ».

Ensuite, « l’incertitude des projections climatiques complexifie grandement la conception des politiques publiques d’atténuation », de même que « l’absence de chiffrage exhaustif et cohérent de ce qu’elles pourraient coûter aux acteurs publics – sachant que « le chiffrage global de l’adaptation est, à mon sens, quasi-impossible aujourd’hui, il faut réfléchir secteur par secteur ». Le scénario sur lequel se base le rapport est celui du gouvernement, à savoir un réchauffement de +4°C d’ici à 2100.

Trois grands types d’impact et 62 recommandations

Les 16 chapitres et 62 recommandations de l’analyse de la Cour des comptes s’articulent autour de trois grandes parties, correspondant aux trois grands types d’impact du changement climatique. Ce dernier a des effets sur les « secteurs transversaux », comme le financement de l’économie et la recherche publique, sur « les grandes infrastructures », comme les transports, les villes, et plus généralement l’habitat, et sur « l’environnement naturel, les personnes et les activités ».

Ainsi, les magistrats financiers estiment que la place occupée par la France dans la recherche publique en matière de mesures d’adaptation est très « modeste » et que l’impact des produits financiers verts est « difficilement mesurable », avec un risque d’écoblanchiment. C’est pourquoi ils avancent plusieurs préconisations pour améliorer le financement de l’adaptation.

La nécessaire adaptation du cadre de vie

En ce qui concerne l’impact du changement climatique sur le cadre de vie français, et plus précisément le logement, « les risques sont de mieux en mieux intégrés dans la construction neuve », mais elle ne représente qu’une très petite part du parc immobilier français, et « de gros efforts d’atténuation sont faits sur le parc existant, via la rénovation énergétique des logements », mais c’est « plutôt une logique de réparation que d’adaptation » et « l’isolation est encore trop peu développée », a expliqué Pierre Moscovici.

Pour ce qui est de l’adaptation des villes au changement climatique, les politiques de végétalisation adoptées par certaines collectivités « peuvent être efficaces à long terme », mais il faut « mettre en œuvre des actions de plus court terme ». Quant à la stratégie immobilière de l’État, elle « n’a pas encore pris en compte l’adaptation », car la priorité a été accordée à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. La Cour s’est également intéressée à l’adaptation des centrales nucléaires, des réseaux de transport et de distribution d’électricité et des voies ferrées au changement climatique, et émet des préconisations pour toutes ces installations.

Promouvoir la culture de la planification et de la gestion du risque.

En ce qui concerne l’impact du changement climatique sur l’environnement naturel et sur les personnes, les magistrats ont relevé que les politiques d’adaptation de la forêt (qui recouvre un tiers du territoire métropolitain) sont rendues difficiles par l’éparpillement des propriétés et la pression des cervidés, et recommandent de promouvoir la culture de la planification et de la gestion du risque.

En matière de gestion du trait de côte, il existe des outils, des stratégies et des moyens financiers pour lutter contre l’érosion, et la Cour recommande d’aller plus loin en créant un fonds solidaire destinés aux communes côtières. Elle émet également plusieurs préconisations en faveur de l’adaptation de l’agriculture, et en particulier des cultures céréalières, et du secteur du tourisme, dont les stations de ski.

Mieux connaître, mieux informer et planifier

Enfin, le rapport tire plusieurs enseignements généraux. Tout d’abord, il est nécessaire de mieux connaître les effets du changement climatique, les risques auxquels il faut s’adapter et leur ampleur. « Nous devons absolument améliorer les prévisions, les données dont nous disposons », a déclaré le Premier président de la Cour. Il faut également mieux informer les décideurs publics et les citoyens sur l’adaptation et ses enjeux, et mieux articuler les efforts en développant la planification – « et pour cela il faut un pilote qui coordonne les différents acteurs concernés ».

En ce qui concerne le financement des politiques d’adaptation, « les moyens déployés sont très substantiels », et « nous mettons en garde contre les risques de mal-adaptation, qui sont souvent le résultat de logiques de court terme », a-t-il poursuivi. La juridiction financière estime que « la dotation ne doit pas nécessairement passer par de nouvelles dépenses publiques » et que « d’autres leviers peuvent être activés, qui consistent plutôt à inciter les acteurs à réagir et à agir, à responsabiliser les entreprises et les ménages, à modifier leur comportement, soit par la réglementation, soit par l’action sur les prix, soit par l’instauration de mécanisme de solidarité financière ».