Coup de froid sur le commerce mondial de marchandises

L’Organisation mondiale du commerce vient de revoir fortement à la baisse ses prévisions de croissance des échanges de marchandises en 2023 à seulement +0,8 % en volume, en raison d’un éventail de facteurs défavorables…

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Certes, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) peut s’enorgueillir que le volume du commerce mondial est aujourd’hui environ 45 fois supérieur à celui enregistré au début des années 1950 et que, entre 1995 et 2022, il a augmenté en moyenne de 4 %, par an. Mais la pandémie, suivie d’un cortège disparate composé de l’inflation, des guerres et des crises, a fait dérailler cette tendance. En effet, le volume du commerce mondial de marchandises devrait progresser de seulement 0,8 % cette année, bien loin de la prévision de 1,7 % établie en avril dernier. S’agit-il alors d’un simple fléchissement temporaire comme semble le penser l’OMC, qui prévoit d’ailleurs une hausse de 3,3 % en 2024, ou d’une contraction durable du commerce mondial ?

Un ensemble de facteurs défavorables aux échanges

Le volume des échanges et la croissance économique ont concomitamment ralenti à la fin de l’année 2022, après la forte reprise post-Covid. Selon l’OMC, « le ralentissement du commerce semble être de vaste portée, car il concerne un grand nombre de pays et un large éventail de marchandises, en particulier certaines catégories de produits manufacturés comme le fer et l’acier, le matériel de bureau et de télécommunication, les textiles et les vêtements ». Mais de forts contrastes existent entre les régions du monde : ce premier semestre 2023, la croissance, en glissement annuel, des exportations a été de 5,4 % en Amérique du Nord, 1,4 % en Amérique du Sud, 0,9 % en Afrique, 0,5 % en Europe, 0,2 % au Moyen-Orient, -2,3 % en Asie et de -3,5 % dans la Communauté des États indépendants.

La brève accalmie sur le front des coûts de l’énergie n’a visiblement pas fait le poids face à l’éventail des facteurs défavorables au commerce international : politiques monétaires restrictives dans presque toutes les régions du monde pour lutter contre l’inflation, hausse subséquente des taux d’intérêt, appréciation du dollar, crise immobilière en Chine doublée d’un risque de déflation, instabilité géopolitique avec la multiplication des conflits et leurs répercussions, multiplication des mesures protectionnistes et des restrictions à l’échange…

Fragmentation du commerce mondial

Le conflit commercial entre la Chine et les États-Unis, débuté sous l’ère Trump et approfondi par Joe Biden, a conduit à l’instauration de nombreuses barrières aux échanges de marchandises : hausse des droits de douane sur certains produits (aluminium, acier…), limitations d’exportations (terres rares, processeurs informatiques…), interdiction de certains accords interentreprises entre les deux pays (ZTE, Qualcomm, Huawei…), etc.

La mondialisation, qui a pris son essor au début des années 1980, a pourtant usé jusqu’à l’excès de la division internationale du processus productif. Cela dans le but d’éclater les chaînes d’approvisionnement dans plusieurs pays et ainsi d’optimiser à la fois les dimensions productives, juridiques et fiscales. Pour mesurer l’ampleur des chaînes d’approvisionnement mondiales, l’OMC a choisi comme indicateur la part des biens intermédiaires dans le commerce mondial (importations et exportations), hors combustibles en raison de l’instabilité de leurs prix. Et le moins que l’on puisse dire est que cet indicateur est tendanciellement en repli depuis mi-2021. Est-ce à dire que dans le contexte actuel d’incertitudes croissantes et de fragmentation géopolitique en blocs, les entreprises deviennent plus sensibles aux questions de souveraineté (économique) et de sécurité de leurs approvisionnements ? Difficile d’y répondre avec certitude pour l’instant, mais l’OMC note d’ores et déjà une diminution de la part de l’Asie — et de la Chine en particulier — dans les échanges de pièces détachées avec les États-Unis.

L’Europe à la peine

Le diagnostic sur les mauvais chiffres du commerce international de l’Europe peut être complété par l’étude de l’indice RWI/ISL du trafic de conteneurs, qui est très corrélé au volume du commerce de marchandises. Or, alors que cet indice a poursuivi sa progression en Chine, il a reculé en Europe, laissant entrevoir une stagnation bien plus profonde sur le vieux continent qu’il n’y paraît de prime abord.

Certes, pour l’instant, l’Union européenne (UE) peut se targuer d’être une très grande puissance commerciale au vu du poids de ses exportations dans le commerce international. Mais si l’on exclut les échanges interrégionaux en son sein, le tableau est moins reluisant. Il traduit, en vérité, les effets de la désindustrialisation et de la concurrence acharnée des pays émergents, qui opèrent — trop souvent — dans les mêmes secteurs d’activité que les entreprises européennes. Cela explique certainement l’enquête diligentée par la Commission européenne sur les subventions de la Chine à la production de voitures électriques et l’adoption d’un règlement « anti-coercition » contre l’ingérence étrangère.

Repli sur soi protectionniste ou recomposition de la mondialisation pour intégrer les nouvelles contraintes ? Telle est finalement la question qui hante l’OMC.