Crise : des TPE s'efforcent de prendre le train du e-commerce

Crise : des TPE s'efforcent de prendre le train du e-commerce

Des petits commerçants  tentent aujourd’hui la voie de la vente en ligne pour conserver un lien avec leurs clients. Les plateformes se multiplient, souvent concentrées sur l’alimentaire, et, dans certains cas, portées des collectivités locales. Les TPE paient un retard numérique largement connu des pouvoirs publics.

En attendant la ré-ouverture du 11 mai, Bercy encourage la pratique du «click and collect» pour les commerçants. Délivrer une commande en boutique est en effet autorisé par le décret du 23 mars dernier, pour les commerces ayant l’autorisation de rester ouverts, mais pas de recevoir du public. Seulement voilà, cela suppose de vendre en ligne, alors que les TPE accusent un retard important sur ce sujet. Pour accompagner les professionnels dans cette démarche, le site officiel  https://www.francenum.gouv.fr délivre des conseils et donne accès à une liste de prestataires commerciaux qui proposent des boutiques en ligne ou des places de marché virtuelles à dimension locale. Nombre d’entre elles connaissent un afflux de demandes. Des commerçants, même parmi ceux autorisés à recevoir du public, ont franchi  ou essayent de franchir le pas. C’est le cas du Verger Saint-Jean, primeur sis dans le centre de Caen. Une semaine après le début du confinement, il a commencé à vendre via Ollca.com, plateforme spécialisée dans les commerces de bouche de proximité. «Avec mon mari, nous avons repris ce commerce un mois seulement avant le confinement ! Nous n’avions pas droit à l’erreur. Une cousine m’a parlé de Ollca, et nous avons décidé d’y aller. Au tout début, nous avons eu peur qu’il n’y ait personne, mais depuis quatre semaines, les ventes ont doublé par rapport à la même période de l’année précédente. Vendre en ligne nous permet d’avoir de nouveaux clients, plus jeunes et qui habitent plus loin que la clientèle habituelle de cette boutique», explique Céline Revert, la patronne. Il lui a fallu 48 heures environ pour mettre le dispositif en place. 

Comme elle, une vingtaine de nouvelles boutiques sollicitent chaque semaine Ollca, d’après le fondateur de l’entreprise, Victor Gobourg. Mise en place en 2017, la plateforme misait sur une demande de consommation de produits locaux et de proximité. Elle compte à présent plus de 500 petits commerçants , bouchers, fromagers ou boulangers, et assure leurs livraisons à proximité, dans une vingtaine de villes. Durant cette période de confinement, «pour certains, cela représente entre 40 et 100% de leur chiffre d’affaires», précise Victor Gobourg. 

Les plateformes locales se multiplient 

Si la plateforme revendique la position de leader, elle ne manque pas de concurrents, généralistes, ou concentrées sur l’alimentaire. D’autres existaient avant la crise, comme celles initiées par des CCI locales, à l’image de  https://www.achat-ville.com, en Côte d’Or, ou  https://enbasdemarue.fr, en Nord-Isère. Mise en place en juin 2018, sur une zone qui compte 5 000 commerçants environ, elle avait gagné une centaine d’adhérents. La crise en a fait venir une vingtaine de plus, et le dispositif a été rendu gratuit. «Il s’agit principalement de commerces non alimentaires, comme le prêt-à-porter, pour qui la vente en ligne reste la seule possibilité. Depuis début avril, le chiffre d’affaires a beaucoup augmenté. Mais il se concentre surtout sur l’alimentaire», constate Vianney Accart, animateur réseaux à la CCI. 

Avec la crise, de nouvelles initiatives voient le jour. Certaines sont aussi portées par des collectivités locales ou associations d’élus qui s’efforcent d’aider les petits commerçants à traverser la crise. La CCI de Seine-et-Marne et l’Association des maires ruraux ont lancé www.vivonslocal.org. Autre exemple, la région Occitanie a mis sur pied sur son site Internet l’opération «Solidarité Occitanie Alimentation» : une carte permet aux consommateurs de visualiser et entrer en contact avec environ 4 000 de commerçants et petits producteurs locaux qui s’y sont inscrits. Le Conseil du commerce de France (CdCF),et la CMA, chambre des métiers et de l’artisanat, affichent leur soutien à la plate-forme www.soutien-commercants-artisans.fr. Une initiative privée, mais gratuite pour les commerçants et artisans qui s’y inscrivent, le temps de la crise. Les consommateurs peuvent y acheter des bons d’achats, dont les montants sont reversés aux TPE. En 10 jours seulement, la plateforme a reçu 400 inscriptions, et cumulé 35 000 euros de commandes. «Nous soutenons ce dispositif car il est accessible à des commerçants qui n’ont pas pris le virage numérique et qui connaissent des problèmes de trésorerie. Il apporte une réponse au besoin immédiat de cash, et permet de se familiariser avec le numérique», explique William Koeberlé, président du CdCF. 

Un retard numérique qui se paie très cher 

L’état des lieux, en matière de numérisation des commerces, est «désastreux», rappelle William Koeberlé,  qui évoque 500 000 entreprises de commerce sur 900 000 qui ne sont pas encore sur Internet. «Même avant la crise, il était déjà important d’être en ligne. Ne pas y être, c’est comme ne avoir de vitrine. Mais en juin, on se disait encore que ce n’était pas forcément indispensable d’investir de manière urgente….Aujourd’hui,  on est loin de ce qu’on aurait pu faire, si l’on s’était préparé», témoigne-t-il. Les rapports publics ne manquent pas, qui pointent le retard numérique des TPE. Dernier en date, un rapport sénatorial, «l’accompagnement de la transition numérique des PME : comment la France peut-elle rattraper son retard» de juillet 2019, alignait les constats. Alors que sept consommateurs sur 10 achètent et paient en ligne, une PME sur huit fait usage de solutions de vente en ligne. 63 % des TPE françaises disposent d’un site Internet, contre 91% en Allemagne. Au niveau budgétaire, 61 % des PME et des TPE consacrent  moins de 300 euros par an à leur  présence en ligne. 

Les causes principalement évoquées pour expliquer ce retard relèvent du fonctionnement  inhérent des TPE (manque de temps, de compétences internes…). William  Koeberlé en ajoute une : «malheureusement, beaucoup de mauvais prestataires sont passés par là, pour faire payer très chers des outils non adaptés». En terme de politique publique, l’enjeu a été depuis longtemps identifié. Lancé en novembre 2018, un dispositif supposé accompagner les entrepreneurs, notamment grâce à la plateforme FranceNum, est demeurée largement inopérant, d’après les rapporteurs du rapport sénatorial. 

Anne DAUBREE