Des mesures proposées pour mieux encadrer l’ubérisation du travail

La mission d’information du Sénat chargée d’étudier l’impact des plateformes numériques sur les métiers et sur l’emploi a rendu son rapport. Ce dernier formule une vingtaine de recommandations visant à mieux encadrer certaines pratiques.

Photo d'illustration Adobe Stock
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« Uberisation de la société : quel impact des plateformes sur les métiers et l’emploi ? ». Tel est l’intitulé de la mission d’information créée à l’initiative du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste du Sénat, présidée par la sénatrice Martine Berthet (groupe Les Républicains), et dont les conclusions ont été adoptées à l’unanimité, lors de la présentation du rapport fin septembre. Ces travaux et l’ensemble des pistes de réflexion dégagées par la mission d’information vont contribuer à éclairer les débats qui auront lieu au Sénat en novembre prochain, lors de l’examen du projet de loi ratifiant l’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes et habilitant le gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes.

Un phénomène qui doit faire l’objet « d’un suivi renforcé » de la part de l’État

Lancé par les applications de transports et de livraison, le mouvement de « plateformisation » s’est depuis étendu à la plupart des secteurs de l’économie et se traduit « par une explosion du nombre de travailleurs de plateformes », rappelle la mission dans son rapport. Le phénomène s’étend aussi bien aux services aux particuliers qu’aux services aux entreprises, qui recourent de plus en plus aux plateformes pour gérer leurs recrutements, leur comptabilité ou des démarches juridiques ou administratives.

Or, cet écosystème « tend à remettre en cause notre modèle social et économique » et « impose aux travailleurs les pratiques du management algorithmique, qu’il est nécessaire de mieux encadrer ». De façon plus générale, les rapporteurs estiment que « cette dynamique, dont les effets sur l’économie et la société sont encore insuffisamment étudiés, doit désormais faire l’objet d’un suivi renforcé de la part des services de recherches et de prospective de l’État ».

Conditions de travail, dialogue social, management algorithmique…

La mission s’est donc penchée sur les transformations des métiers et des emplois provoquées par le développement des plateformes numériques de travail. Après avoir auditionné plus de 60 personnes sur ce sujet, elle formule 18 recommandations autour de quatre grands enjeux : l’amélioration des conditions de travail, le développement du dialogue social – incluant le principe d’une rémunération minimale fixée par la loi et déterminée via la négociation sociale –, l’encadrement du management algorithmique et l’élaboration de règles favorisant la transparence, l’explicabilité et la régulation des algorithmes des plateformes.

Améliorer les conditions de travail des travailleurs de plateformes

Parmi les mesures préconisées figurant notamment des dispositions visant à améliorer les conditions de travail des plateformes. Dans la droite ligne des préconisations émises par le Parlement européen, la mission appelle ainsi à garantir le droit à la déconnexion à tous les travailleurs des plateformes et à étendre à ceux d’entre eux exposés à des risques professionnels manifestes les garanties dont bénéficient les salariés en matière de sécurité au travail.

Favoriser le dialogue social

Autre axe d’amélioration : favoriser le dialogue social, via la mise en place d’instances internes pour négocier avec les travailleurs. Un objectif qui se heurte aujourd’hui à l’interdiction des ententes telle que prévue par les règles du droit européen de la concurrence, dans la mesure où les travailleurs indépendants sont considérés comme des entreprises. Il est donc nécessaire que le processus lancé par la Commission européenne, pour garantir que les règles du droit de la concurrence ne font pas obstacle à la conduite d’un dialogue social entre des travailleurs indépendants et leurs clients, aboutisse rapidement.

Encadrer le management algorithmique

Autre problématique identifiée par la mission : le manque de transparence et d’explicabilité du management algorithmique. « Les algorithmes sont au cœur du modèle économique des plateformes numériques et leur utilisation est protégée par le secret des affaires, ce qui tend à réduire les efforts des plateformes en matière de transparence et d’explicabilité des décisions prises par traitements automatisés de données », explique les rapporteurs.

Or, au-delà de la seule mise en relation entre l’offre et la demande, le management algorithmique contribue aussi à déterminer les conditions de travail et de rémunération des travailleurs. « Les algorithmes de tarification, les mécanismes d’incitation et les systèmes de notation ont des effets directs sur le comportement des travailleurs des plateformes, modifiant leur organisation et leur temps de travail, ne leur permettant pas d’avoir de la visibilité sur leurs revenus, ni sur leur projet professionnel. In fine, le management algorithmique contribue à renforcer la subordination vécue par les travailleurs des plateformes et à précariser leurs conditions de travail. »

C’est pourquoi la mission d’information préconise de mieux encadrer le management algorithmique par des mesures favorisant l’intelligibilité des algorithmes pour les travailleurs et leurs représentants, afin qu’ils deviennent un objet de négociation collective. Et elle recommande également de garantir la portabilité des données des travailleurs pour favoriser leur indépendance et leur mobilité.