Faillites : faire face à l'inévitable

Toutes les entreprises ne survivront pas à la crise. Le diagnostic impose de mettre en place des mesures pour protéger les salariés concernés et préserver les sociétés viables, a montré une récente table ronde, organisée par la délégation aux Entreprises du Sénat.

Photo d'illustration
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Le sujet qui préoccupe, au premier abord, c'est comment éviter les cascades de défaillances d'entreprises, et en particulier, des plus petites, lorsque l'économie sortira de la phase de « perfusion , liée aux aides de l’État. Mais de plus en plus, un constat s'impose : certaines entreprises ne s'en sortiront pas. Il sera également nécessaire de faire face à cette réalité. C'est ce qui est apparu lors de la table ronde : « difficultés des TPE et PME dans la crise : comment franchir le premier semestre 2021 ? », organisée le 4 mars dernier par la délégation aux Entreprises du Sénat.

Pour l'instant, les effets de la crise sont suspendus : le nombre de défaillances d'entreprises a chuté de 39% en 2020, d'après la Banque de France. Partant, l'AGS, régime de garantie des salaires, a connu une activité réduite en 2020. Il a versé 1,2 milliard d'euros de salaires ( 86% des dossiers concernent des entreprises de moins de 10 salariés ), soit 20% de moins que l'année précédente. Et le premier trimestre 2021 n'a pas été marqué par une augmentation significative des dossiers traités. Mais pour Christian Nibourel, président de l'AGS, la tendance pourrait changer à partir du « deuxième ou troisième trimestre ». C'est pourquoi « l'AGS s'est mis en position de pouvoir absorber l'augmentation du nombre de défaillances d'entreprises », explique-t-il. Prévoyant de devoir décaisser 2,5 milliards d'euros, l’association vient de contracter trois emprunts pour un total de 1,5 milliard d'euros. Il importe de consolider cet « amortisseur social » que constitue l'AGS, d'après les termes de Christian Nibourel. Son rôle sera en effet primordial, auprès des salariés des entreprises qui ne passeront pas le cap de la crise. A cet égard, Yannick Ollivier, président de la CNCC, Compagnie nationale des commissaires aux comptes, souligne aussi d'autres enjeux : la nécessité de créer les conditions de la confiance entre les acteurs économiques, dans un contexte où les paramètres habituels sont peu adaptés et celle d'un « assainissement du système » .

Distinguer les entreprises viables des autres

« Toutes les entreprises ne pourront pas être sauvées. Il faut en tirer les conséquences, afin qu'elles ne continuent pas à vivoter des mois et des mois, provoquant des effets sur celles qui ont un modèle économique viable et de vraies chances de redémarrer », explique-t-il. Parmi les potentielles conséquences néfastes, figurent notamment des impayés entre entreprises, qui peuvent mettre en danger celles qui sont saines. Concernant la question de la confiance, comment une entreprise dont les résultats ont été mauvais en 2020 pourra-t-elle faire valoir sa viabilité auprès de ses fournisseurs, clients ou financeurs ? « Il faut éviter la double peine (…), nous devons réfléchir sur la manière dont les entreprises pourraient communiquer au delà des résultats de 2020», estime Yannick Ollivier. La CNCC propose la mise en place d'un dispositif qui répond à l'ensemble de ces problématiques. Pour les entreprises hors certification, le commissaire aux comptes pourrait jouer le rôle de tiers de confiance qui diagnostique et atteste de la santé de celles viables. Par défaut, celles qui ne le sont pas seraient orientées vers les dispositifs de sauvegarde. Et leurs salariés seraient pris en charge par l'AGS.

Mais Christian Nibourel alerte sur un projet d'ordonnances du ministère de la Justice, dans le cadre de la transposition de la directive européenne dite « restructuration et insolvabilité », qui prévoit de modifier l'ordre des créanciers privilégiés, en cas de liquidation judiciaire d'une entreprise : « les ordonnances changent la donne par rapport au système actuel, et veulent faire passer les frais de justice [dont les rémunérations des administrateurs et mandataires judiciaires] avant l'AGS » [les salaires]. « Financièrement, cela peut nous amener à une perte de l'ordre de 200 à 300 millions d'euros. Pour l'équilibre du régime, c'est très important », explique-t-il.


AGS/ administrateurs et mandataires judiciaires : une mission confiée à René Ricol

Preuve que le sujet est sensible, alors que se profile une vague de faillites, le Premier ministre, s’est emparé du dossier. Jean Castex a confié, le 8 mars, à René Ricol, ancien président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et ancien Commissaire général à l’investissement, une mission sur l’articulation entre le régime de garantie des salaires (AGS) et les administrateurs et mandataires judiciaires, dans le cadre des procédures collectives. Pour le Premier ministre, une « coopération fluide entre ces acteurs institutionnels des procédures collectives est plus que jamais indispensable dans le contexte économique actuel». Un diagnostic « objectif » et des propositions « d’ordre législatif, réglementaire ou organisationnel » sont attendus pour mi-avril.

B.L