«La volonté de fabriquer et de consommer français est devenue un mouvement de fond»

«La volonté de fabriquer et de consommer français est devenue un mouvement de fond»

Pour combattre un système qui, en délocalisant, produit du chômage, Fabienne Delahaye a fondé le salon du Made In France, en 2012. Mais si la crise semble confirmer la pertinence de la démarche, la bataille est loin d’être gagnée.

Pourquoi avoir créé un salon MIF, Made in France, en 2012? 

Pour deux raisons. Longtemps après avoir achevé mes études d’économie, en constatant les phénomènes de chômage élevé, désertification du territoire, désindustrialisation, il m’a semblé qu’il fallait remettre en cause ce que l’on m’avait enseigné, à savoir que l’industrie était vue comme un gros mot, qu’il fallait développer les services, la communication, les productions à haute valeur ajoutée. Je me suis dit : quelle est cette logique qui consiste à  fabriquer ailleurs, pour des raisons soi-disant économiques, si la contrepartie est un chômage de masse? La seconde raison est que j’ai réalisé que l’on conserve le vieux réflexe de se dire : je soutiens l’économie française en achetant une marque français. Mais ce n’est pas parce qu’elle a son siège social sur le territoire que les produits y sont fabriqués. Comme organisatrice de salon, j’ai donc décidé d’en organiser un pour faire se rencontrer ceux qui croient au Made in France et les visiteurs qui s’y intéressent, conscients des enjeux d’emploi, de préservation de savoir-faire et environnementaux. 

Comment a évolué l’opinion sur ce sujet, depuis la première édition du salon   ? 

En 2012, la première édition a accueilli 75 exposants et 15 000 visiteurs. L’an dernier, ils étaient, respectivement,  570 et 80 000. L’évolution montre que l’organisation du salon répondait à un besoin ! Cela a tout de suite très bien marché du point de vue des visiteurs et des petites entreprises. En revanche, la grande distribution ne l’a pas bien pris. J’ai reçu des mails d’enseignes qui trouvaient le salon «passéiste». Les critiques les plus virulentes consistaient à dire que  la démarche était nationaliste. Je me suis retrouvée dans le camp du mal, alors que le projet n’est pas politique ! Aujourd’hui, la situation a complètement changé, notamment depuis les attentats. Le Made in France est devenu une thématique vertueuse, et les grandes entreprises se sont senties le droit de participer au salon. La volonté de fabriquer et de consommer français est devenue un mouvement de fond. Même avant la crise, les consommateurs souhaitaient une réindustrialisation. 

La crise semble vous donner raison ; est ce à dire que la cause du MIF est gagnée? 

La crise a jeté un éclairage cru sur les effets délétères de la désindustrialisation. Elle a montré notre fragilité : pas de masques, pas assez de respirateurs…Elle a aussi montré que l’on pouvait compter sur les entreprises du MIF pour se mobiliser, comme dans le textile où elles se sont montrées solidaires en s’adaptant pour fabriquer des masques. Sur le salon, cette année, une conférence sera consacrée à «Relocalisations : facile à dire, difficile à faire». On en parle beaucoup, mais est-ce vraiment possible ? Les mêmes causes produisent les mêmes effets, or, les raisons de la délocalisation sont encore là, comme une concurrence relativement déloyale, même en Europe, avec certains pays qui font du dumping social ou fiscal. Autre souci, il est difficile d’être en concurrence avec des produits  soumis à des normes différentes. Or, nous n’imposons pas la réciprocité des échanges en taxant ces produits. La commande publique aussi pourrait jouer un rôle, ainsi que les appels d’offre des grandes entreprises. Pour  relocaliser, il faut régler ces problématiques. Cela demande une politique de très long terme, des investissements extrêmement importants.

                                                             Anne DAUBREE