Les entreprises, tributaires et parties prenantes de la souveraineté politique

«Tout cela a fait prendre conscience aux entrepreneurs que la souveraineté n'était pas forcément un gros mot», déclarait Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, en introduction.
«Tout cela a fait prendre conscience aux entrepreneurs que la souveraineté n'était pas forcément un gros mot», déclarait Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, en introduction.

Coronavirus, menace de guerre commerciale avec les Etats-Unis… Le contexte international met en lumière la nécessité d’une souveraineté politique, comme cadre d’une activité économique fructueuse pour les entreprises. Lesquelles sont aussi parties prenantes de cette souveraineté… Débat récent , au Medef.

 «Nous devons construire une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main», déclarait Emmanuel Macron,  président de la République, lors de son allocution  du 13 mars consacrée au coronavirus. Car la crise sanitaire a aussi jeté une lumière crue sur les problèmes posés par l’organisation économique mondiale actuelle. Sous  ce prisme,  la journée d’études organisée dix jours plus tôt par le Medef, à Paris, le 2 mars, consacrée à «Souveraineté et compétitivité des entreprises : plus de temps à perdre !» prend une dimension inattendue.

Remise en cause du multilatéralisme, existence de systèmes qui marient liberté économique et autoritarisme, usage américain exponentiel de l’extraterritorialité…  «Tout cela a fait prendre conscience aux entrepreneurs que la souveraineté n’était pas forcément un gros mot», déclarait Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, en introduction. Il évoquait aussi le cas du coronavirus, qui avait mis en exergue  le problème de la dépendance nationale vis à vis de la Chine en matière de médicaments. Au total, la souveraineté s’avère un enjeu politique délicat  à cerner et à manipuler, et aussi complexe à analyser  dans ses interactions avec l’économique, auquel il est indissociablement lié. «Il est important, pour un État, un continent, de déterminer ce qui est souverain ou pas», estimait Geoffroy Roux de Bézieux. Un cadre auquel sont supposées ensuite se référer les entreprises. Toutefois, leur nature, aujourd’hui très mixte en matière de nationalité, complexifie la situation. Autre dimension du sujet, soulignée par le président du Medef, le choix du modèle à atteindre. La recherche de souveraineté ne signifie pas «tomber dans la démondialisation, mais de trouver des formes d’échanges plus équilibrés», estime Geoffroy Roux de Bézieux.

«Nous ne sommes pas tout à fait souverains»

Et c’est bien la question de la  souveraineté qui est en cause, dans le déséquilibre économique actuel. C’est ce qu’a montré l’exemple du retrait des entreprises européennes d’Iran, face à la menace de sanctions américaines. «Nous ne sommes pas tout à fait souverains», analyse Jean-Dominique Merchet, journaliste à l’Opinion, animateur du débat,  qui souligne aussi le fait que l’épisode revêt  une  forte dimension européenne. Aujourd’hui, l’Europe se cherche -difficilement – une souveraineté. «Nous avons basculé d’un monde d’échanges commerciaux basés sur les règles de l’OMC, vers un monde où les rapports de force sont plus prégnants, un système d’échanges multilatéral à risque d’effondrement», pointe Édouard Bourcieu, représentant de la Commission Européenne en France et en Belgique pour les questions commerciales. Mais pour lui, en Europe, «on constate un vrai changement d’état d’esprit, même s’il est progressif». Le changement est net vis-à vis de la Chine, par exemple, à présent unanimement considérée comme un «rival systémique». Et la nouvelle Commission Européenne serait mieux armée pour «jouer le jeu de rapport de force». Si les mesures demeurent difficiles à adopter en raison de la complexité de convaincre la totalité des membres, l’UE a, par exemple, renforcé son arsenal anti-dumping. Et la Commission travaille actuellement à un livre blanc sur le sujet du rachat des entreprises européennes par l’étranger. Toutefois, «il ne faut pas oublier qui nous sommes. L’Union Européenne reste attachée au système multilatéral, même s’il est menacé. Il ne faut pas faire de mimétisme naïf, par rapport à ce que fait Trump», met en garde Édouard Bourcieu, pointant les dégâts que peut causer une guerre commerciale. Quant à Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d’Allemagne en France, il préfère évoquer une «souveraineté partagée» européenne.  Mais l’essentiel, pour le diplomate, réside dans une capacité d’agir, une défense des intérêts communs en matière commerciale et d’investissement, un   évitement des dépendances trop fortes dans des domaines stratégiques.

La souveraineté est aussi alimentaire

Reste, dans ce cadre de recherche de souveraineté  politico-économique nécessaire, à penser la place des entreprises, dont l’activité peut constituer un enjeu en soi. Problème, la nationalité des sociétés est devenue très complexe à établir, pour une partie d’entre elles…  Les critères de capital, de siège social, ou encore de nationalité du dirigeant, s’avèrent insuffisants. Toutefois, «les entreprises ne sont pas apatrides, elles ont des racines», estime  Geoffroy Roux de Bézieux, proposant une idée presque organique de la nationalité d’une entreprise, comparable aux «enfants qui se souviennent des parents, lorsque les problèmes arrivent». Le cas de Danone illustre cette complexité. Née en Espagne, l’entreprise a fusionné avec un groupe français, avant de s’internationaliser…Aujourd’hui,  l’Hexagone ne représente plus que 9% de son chiffre d’affaires. Pour autant, «Danone est une boîte française», tranche Mathias Vicherat, secrétaire-général de Danone.  Pour étayer son propos, il cite la localisation de centres d’expertise en France, ou la composition du comité de direction, aux trois quarts français. Mais aussi, «la relation que nous avons tissé avec le gouvernement français est clé. Avec Dassault ou L’Oréal, nous sommes un peu des représentants de la France à l’étranger», ajoute  Mathias Vicherat. L’entreprise fait partie de l’un des dix secteurs considérés comme stratégiques par l’État, l’alimentaire. Leurs noms ne sont pas connus, mais dans chacun de ces secteurs, une centaine d’entreprises qualifiées «d’opérateurs d’intérêt vital», ont des relations privilégiées avec l’État. Pour  Mathias Vicherat, la question de la souveraineté alimentaire est cruciale et, au niveau européen, il serait important de «reprendre en main notre domaine nourricier», explique-t-il. «C‘est l’un des éléments les plus importants sur le plan géopolitique. Il faut lire aussi ainsi  le projet de la Route de la soie de la Chine, très dépendante dans ce domaine», conclut Mathias Vicherat, soulignant l’osmose entre économie et politique, dans la question de la souveraineté.

Anne DAUBREE