Télétravail : les managers en soutien de cordée

Lors d’une table ronde au Sénat, organisée en février par la délégation aux Entreprises, sur "L'impact des nouveaux modes de travail et de management sur la santé", plusieurs experts ont mis en avant, outre les risques du télétravail pour la santé des salariés , celui de perte de cohésion des équipes. En première ligne, les managers, qui doivent à la fois s’assurer du bien-être de chacun et de la productivité des collaborateurs.

 Photo d'illustration Adobe Stock
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« Le télétravail intensif que l'on vit actuellement conduit à un appauvrissement du collectif de travail », constate Stéphane Pimbert, directeur général de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), qui œuvre pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. En cause, le risque d’associer le télétravailleur salarié « à un sous-traitant autonome », explique Michel Canévet ( Union centriste, Finistère), rapporteur de la mission sur les nouveaux modes de travail et de management et leur impact sur la santé au travail.

Il apparaît nécessaire de garantir aux salariés la possibilité de revenir sur leur lieu de travail pour qu'ils aient « un sentiment d'appartenance, de protection et de reconnaissance », relève Marc-Éric Bobillier-Chaumon, membre du conseil d'administration de l'Association internationale de psychologie du travail de langue française (AIPTLF) et professeur au Cnam de Paris. Pour lui, le nombre de journées de télétravail doit être adapté à l'activité, car « certains métiers nécessitent une concertation et une réflexion collective qu'appauvrit le télétravail ». Et l’expérience prouve que les modes hybrides de travail, qui associent présentiel et distanciel « ne sont pas très positifs en termes de dynamique et d'échanges, car chacun évolue dans un mode social propre. Il n'est pas aisé, dans ces conditions, de recréer un espace commun. »

Perte de cohésion

Les risques liés au télétravail sont nombreux : « fragmentation des collectifs, dégradation de la qualité des relations, restriction du nombre de personnes que l'on côtoie, diminution des échanges informels et de moments de convivialité », énumère Emilie Vayre, secrétaire générale de l'Association française de psychologie du travail et des organisations (AFPTO). Des éléments qui sont pourtant indispensables au partage de valeurs et à l'épanouissement professionnel. « La cohésion au sein des collectifs, la qualité des relations, l'instauration de formes de soutiens sociaux sont reconnues comme protégeant les salariés des effets délétères de conditions de travail dégradées et des facteurs de risques psychosociaux », poursuit l’experte.

Pour Stéphane Pimbert, la difficulté réside dans l’impression de déconnexion des équipes avec le travail à distance. « Le maintien du collectif de travail, qui est un rouage essentiel de la santé mentale, est déséquilibré. Le télétravail à 100 % conduit à ce que les salariés ne se rencontrent plus dans les lieux de convivialité de l'entreprise » regrette-t-il. La tâche des managers de proximité semble donc immense puisqu’il leur incombe à la fois de prévenir les risques psychosociaux et de faire vivre le collectif de travail sans présence physique. « Le manager de proximité doit être à l'écoute de chacun des membres de son équipe, ce qui fait peser sur lui une lourde charge mentale, alors qu'il ne dispose pas toujours de la formation et des moyens techniques requis », déplore Stéphane Pimbert.

Des outils inadaptés et nocifs

Autre mission du management : « recréer un espace pour se recoordonner et s'ajuster à distance, et faire en sorte que les collaborateurs puissent parler du travail qui va mal et qui fait mal, pour trouver des solutions ensemble », note Marc-Éric Bobillier-Chaumon.

Le rôle des managers de proximité est essentiel dans la manière dont « ils animeront, coordonneront, porteront les collectifs. Ceux qui valorisent le travail réalisé par les salariés, qui portent de l'intérêt à ce qu'ils disent et à ce qu'ils font, qui montrent leur satisfaction du travail accompli, font preuve de soutien en termes d'aide, d'information et de conseils apportés ». Mais aussi « qui encouragent, sont à l'écoute, qui font preuve d'empathie, laissent des marges de manoeuvre et confèrent de l'autonomie, qui apprennent à déléguer et accordent leur confiance, favorisent la santé des salariés et les protègent de l'érosion professionnelle », explique Emilie Vayre.

En revanche, plusieurs situations peuvent conduire les salariés à ressentir du stress ou à se sentir pressurisés et débordés, et avec le temps à s'épuiser professionnellement. D’abord, lorsqu’il y a un contrôle étroit de leur travail ou une exigence de délais réduits, voire intenables ; des sollicitations dans l'urgence avec des réponses immédiates ; une mobilisation intrusive, ou encore, lorsque les orientations et politiques managériales conduisent les salariés à se sentir sous pression. Pour la secrétaire générale de l’AFPTO, les télétravailleurs qui sont les plus performants, les plus proactifs, les plus impliqués, les plus satisfaits « sont ceux qui sont moins contrôlés et les plus soutenus par leurs managers. »

Déjà, bien avant la pandémie, ces derniers ont traversé une crise identitaire. « Ils se sont progressivement éloignés de leur coeur de métier pour répondre aux exigences bureaucratiques –toujours plus de procédures, de traçage et de reporting - et sont sommés de rendre des comptes, tout en étant dans l'impossibilité de faire remonter le réel du travail ». Toute la difficulté repose sur leur obligation de contrôler et superviser le travail à distance, via des outils de time tracking, qui permettent de vérifier non seulement si des individus sont face à leur écran, mais aussi la fréquence de leurs interventions, lors des réunions à distance. « Il en résulte des évaluations quantitatives sans rapport avec le travail effectif attendu. D'où l'importance de trouver des indicateurs de suivi donnant du sens à l'activité. Des outils inadaptés ou inutiles par rapport au projet du travail génèrent de la souffrance » signale Marc-Éric Bobillier-Chaumon.

Charlotte DE SAINTIGNON