Zone euro : des perspectives économiques en clair-obscur

Si l’Union européenne et la zone euro ont échappé de peu à la récession technique, la reprise sera très cahoteuse, selon le FMI, avec la persistance des problèmes économiques et l’augmentation globale de l’incertitude…

(© Adobe Stock)
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L’économie européenne vacille, mais tient bon… pour l’instant ! Telle pourrait être la conclusion du Fonds monétaire international (FMI), qui vient de publier, le 11 avril, ses dernières prévisions économiques. L’inquiétude sur les ruptures d’approvisionnement énergétique avait conduit à de sombres perspectives pour la zone euro à la fin de l’année 2022. Mais, outre le reflux des cours des matières premières énergétiques, c’est leur consommation qui a baissé par suite des incitations gouvernementales à réaliser des économies, de la diversification des sources d’approvisionnement, de la montée en puissance des énergies renouvelables (même si les centrales à charbon ont repris du service), de conditions climatiques plutôt favorables cet hiver et, hélas, de la hausse des faillites et arrêts de production.

Bref, un ensemble de facteurs, endogènes et souvent exogènes, ont permis à l’économie européenne de ne pas sombrer. Chemin faisant, si les perspectives sont désormais moins sombres qu’à l’automne, elles restent dominées par une très forte incertitude liée aux nombreux problèmes auxquels la zone euro devra faire face.

Taux de croissance revus en hausse

Alors que le FMI n’attendait que 0,5 % de croissance en 2023 pour la zone euro, l’institution internationale vient de réviser son chiffre à 0,8 %. Dans le détail, l’Italie échapperait finalement à un taux de croissance négatif (+0,7 %, prévu en 2023), la France se maintiendrait à 0,7 % et l’Allemagne connaîtrait un recul de son PIB (-0,1 %). Et pour 2024, le taux de croissance de tous ces pays serait à peine voisin de 1 %.

Attention, cependant, à ne pas surévaluer la signification de ces chiffres — somme toute très proches de l’épaisseur du trait statistique —, d’autant que, selon le chef économiste du FMI, Pierre-Olivier Gourinchas, « les récentes turbulences du secteur bancaire nous rappellent toutefois que la situation reste fragile. Une fois de plus, les risques de détérioration des perspectives de l’économie mondiale dominent et le brouillard s’épaissit ». Pour l’heure, il est donc trop tôt pour en déduire que l’économie européenne va mieux. Tout au plus, est-il possible d’affirmer que la catastrophe énergétique tant redoutée durant l’hiver n’a pas eu lieu. C’est peu, mais tellement important dans le contexte actuel.

Risques liés à l’endettement public et privé

Pour l’instant, la politique budgétaire, qui est du ressort de chaque État de la zone euro, demeure très expansionniste. Quant au frein lié au cadre budgétaire européen, il a été de facto suspendu depuis 2020, avant de l’être de jure. Mais au regard des niveaux stratosphériques atteints par l’endettement public dans certains États, est-il seulement envisageable de réactiver les règles en vigueur avant la pandémie ? Pourtant, il faudra bien concilier, avant la fin de l’année, les positions des uns en faveur d’un relâchement des contraintes et des autres pour un cadre budgétaire strict.

Le FMI note d’ailleurs que les aides accordées par les États européens aux ménages et aux entreprises pour surmonter le choc énergétique ont indubitablement contribué à éviter la récession de la zone euro. Mais à quel prix pour les finances publiques ! Étant donné que l’endettement public s’était déjà envolé durant la pandémie de Covid-19, la question de la soutenabilité de la dette publique se pose à présent avec acuité, dans de nombreux pays européens où la croissance sera, de plus, faible.

Dangers du resserrement de la politique monétaire

Le resserrement de la politique monétaire, pour lutter contre une inflation persistante, a conduit du reste à une hausse des taux d’intérêt au plus mauvais moment, puisqu’elle renchérit le coût des dettes publiques alors que la croissance est en berne. Et quid de la soutenabilité de l’endettement privé (ménages et entreprises), qui atteint des niveaux très élevés, sans que cela inquiète outre mesure les décideurs politiques ?

Les déboires récents des banques américaines montrent combien ce resserrement de la politique monétaire des deux côtés de l’Atlantique peut déstabiliser les bilans des institutions bancaires ou financières, en provoquant notamment des moins-values sur les portefeuilles de titres obligataires. Et une instabilité financière, qui plus est dans une période de forte incertitude, est toujours défavorable à la croissance. Au surplus, les pays de la zone euro ont peut-être trop présumé de la qualité de leur réglementation bancaire, négligeant qu’il fallait aussi compter avec les errements de banques systémiques, à l’instar de Crédit Suisse et Deutsche Bank[1]

Dans le contexte actuel dégradé, le pire serait de resserrer concomitamment la politique budgétaire et la politique monétaire, en raison de l’impact très négatif que cette stratégie aurait sur la demande adressée aux entreprises. Certes, cela est susceptible de freiner l’inflation, faute d’activité des entreprises et de pouvoir d’achat des ménages. Mais, c’est aussi le meilleur moyen de plonger la zone euro dans une dépression et dans une crise sociale !


[1] Voir notre article précédent « Les banques européennes dans la tourmente » DSI 11/04/2023

Raphaël DIDIER