Evénement

Congrès : les mairies dans la tourmente

Alors que le président de la République s’est contenté d’une « déambulation » dans les allées du Salon des maires, les élus attendent de l’Etat une considération qui, en ces temps de crises, leur est de moins en moins accordée par leurs administrés.

Le métro bondé, les contrôles de sécurité, les prospectus, petits cadeaux et sacs en tissu, les grands discours… Très peu pour elle. Maire de Montipouret (600 habitants, Indre), Marie-Christine Mercier ne s’est pas rendue au 104ème congrès des maires qui s’est déroulé au Parc des expositions de la porte de Versailles, à Paris, du mardi 22 au jeudi 24 novembre. Plutôt que d’assister à une grand-messe, l’élue, maire depuis 2020, a préféré « la réunion climat du département », confiait-elle quelques jours avant le rendez-vous annuel des édiles.

« Plus de 10 000 élus locaux » auraient, selon l’Association des maires de France, qui organise l’événement, participé au congrès parisien. Le rituel est rôdé, entre les conférences sur les enjeux du foncier ou la mobilité décarbonée, les buffets sur les stands des prestataires, les apéritifs des assemblées départementales et enfin, tel un climax de ces trois jours harassants, le discours du président de la République. Mais pas cette année. Le 23 novembre, plutôt que de s’adresser aux élus, Emmanuel Macron a préféré arpenter les allées numérotées du salon, progressant entre les stands des institutions et des entreprises qui y avaient loué un espace. En d’autres termes, il a surtout rencontré des permanents et des fonctionnaires.

Répondant à l’agacement de nombreux élus, le chef de l’Etat s’est justifié. Depuis son élection en 2017, il est venu quatre fois discourir devant les maires et a laissé cette année ce soin à la Première ministre, Elisabeh Borne. « J’ai l’impression de faire chaque année le même discours », a-t-il affirmé devant les journalistes. Or, « il n’y a pas de révolution d’une année sur l’autre », a-t-il assuré.

Pas de révolution ? Certes. Mais une inquiétude grandissante, alimentée par les conséquences de la guerre en Ukraine et le désintérêt d’une partie des citoyens pour la chose publique. Il suffit d’écouter les maires eux-mêmes. « Le prix de l’énergie plombe les finances de la commune », reconnaissait Patrick Judalet, maire (LR) de La Châtre (4 000 habitants, Indre ), la semaine précédente. « Le coût de l’électricité nécessaire au fonctionnement des transports, métro, tramway et téléphérique, va passer de 6 millions d’euros à 30 millions d’une année à l’autre », confiait de son côté Jean-Luc Moudenc, maire (ex-LR) et président de la métropole de Toulouse, en marge du congrès.

Une enquête du centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof), à laquelle ont répondu près de 3 700 maires, un peu plus de 10% de l’effectif total, confirme ce ressenti. Invités à décrire leur niveau de préoccupation liée à l’impact de la crise énergétique sur la gestion de la commune, les maires délivrent une note moyenne de 7,6 sur 10. 84% des élus envisagent de réduire l’intensité ou l’amplitude horaire de l’éclairage et 78% imaginent également une baisse du chauffage. Ils sont enfin 70% à considérer l’extinction de l’éclairage public la nuit, une mesure demandée depuis longtemps par les mouvements environnementalistes, afin de préserver la biodiversité et qui faisait encore, il y a peu, l’objet de débats passionnés.

La « fin de l’abondance », comme le professait Emmanuel Macron à la fin de l’été, plaide pour la transition énergétique. Ainsi, les deux tiers des maires envisagent de rénover l’éclairage public, même si la moitié de ceux-ci confessent ne pas en avoir les moyens. L’isolation des bâtiments municipaux fait l’objet d’un consensus, avec 74% des maires en faveur d’une telle mesure.

La crise énergétique se répercute sur les finances des communes. Certes, près de 80% des maires les jugent encore « saines » ou « plutôt saines », mais, par rapport à 2019, année d’avant-Covid, la proportion de ceux qui considèrent la situation comme « saine » a baissé de 20 points, tandis que les finances « plutôt saines » gagnaient 10 points. Et 17% des maires, contre 9% il y a trois ans, reconnaissent que leurs finances sont « plutôt critiques ».

Insultes publiques et pressions feutrées

Les maires ont besoin de reconnaissance. Denis Riedinger, élu divers droite à Hoerdt (4 500 habitants, Bas-Rhin), contribue au renforcement d’un nouveau réseau ferroviaire autour de Strasbourg. Il déplore toutefois que ses administrés ne lui parlent « jamais » de l’amélioration des transports, « mais se manifestent sur les réseaux sociaux dès qu’un train est plein ». Il en a tiré une philosophie : « Quand on est élu, il vaut mieux avoir une bonne estime de soi, car les gens ne disent jamais merci ».

Edile de Tournus (5 500 habitants, Saône-et-Loire) et conseiller régional, Bertrand Veau (divers gauche) constate pour sa part que les campagnes électorales sont devenues plus rudes. « Sur les marchés, il y a dix ans, les gens s’informaient, faisaient leur choix. Aujourd’hui, c’est la défiance qui domine, voire l’hostilité ». Là encore, l’enquête du Cevipof confirme le malaise. Les maires constatent une progression des incivilités. 63% d’entre eux ont déjà été confrontés à des manifestations d’impolitesse ou d’agressivité, alors qu’ils étaient 53% en 2020. La proportion de ceux qui ont subi des injures ou des insultes est passée de 29 à 37%, tandis que les menaces verbales ou écrites et les attaques sur les réseaux sociaux progressaient dans les mêmes proportions. Les élus désignent, en outre, des pressions plus feutrées, celles des professionnels de l’immobilier, des services de l’Etat ou des élus de leur propre municipalité.

Malgré tout, les maires se disent satisfaits de la vie qu’ils mènent, en lui attribuant une note de 6,7 sur 10. La proportion des élus « très satisfaits » a toutefois tendance à régresser. Alors que les maires consacrent en moyenne 32 heures à leur mandat, c’est sans doute le décalage entre le travail fourni et l’absence de reconnaissance qui explique leur attente d’un discours encourageant d’Emmanuel Macron, que celui-ci ne leur a pas accordé.

Olivier RAZEMON