Ecologie

Conseil constitutionnel : les « sages » consacrent un droit des « générations futures » en matière environnementale

En des termes tout à fait inédits, le Conseil constitutionnel a récemment reconnu un droit « des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins », dans une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Retour sur une décision plus que symbolique.

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A l’origine du contentieux, la gestion des déchets nucléaires

La question posée au Conseil Constitutionnel portait sur la gestion des déchets radioactifs. Plusieurs riverains et associations de protection de l’environnement contestaient, devant le Conseil d’État, le décret n° 2022-993 du 7 juillet 2022 déclarant d'utilité publique un centre de stockage de déchets radioactifs, dans la Meuse et la Haute-Marne. Les requérants contestaient, entre autres, la constitutionnalité de l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement, sur lequel était fondé le décret contesté. Par décision du 3 août 2023, le Conseil d’Etat a décidé de renvoyer cette épineuse question au Conseil Constitutionnel.

L’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement fixe le régime applicable à la création et à l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs. Il prévoit que le stockage de déchets radioactifs dans un tel centre est soumis à une exigence de réversibilité, mise en œuvre selon des modalités précises et pendant une durée minimale.

Toutefois, les requérants reprochaient à ces dispositions de ne pas garantir la « réversibilité » du stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs

au-delà d’une période de 100 ans, faisant ainsi obstacle à ce que les « générations futures » puissent revenir sur ce choix et alors que l’atteinte à l’environnement qui en résulterait pourrait compromettre leur capacité à satisfaire leurs besoins. Selon eux, ces dispositions méconnaissaient ainsi, notamment, le droit des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

La consécration d’un « nouveau » droit

Tout en confirmant la constitutionnalité du dispositif légal, le Conseil Constitutionnel a posé la première pierre d’un droit « nouveau », celui des « générations et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins », fondé sur la Charte de l’environnement, adoptée le 24 juin 2004, et jusqu’à présent, assez dépourvue de portée pratique.

L’article 1er de la Charte de l’environnement dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Et, prévoit, aux termes du septième alinéa du préambule de la Charte, « afin d’assurer un développement durable », que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Pour le Conseil constitutionnel, qui interprète ces deux dispositions, « lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard ».

La portée pratique de cette décision

Pour ce qui est de la gestion des déchets radioactifs, les neuf sages, après une analyse fine de la législation entourant tant les conditions que les procédures permettant la création et l’exploitation d’un centre de stockage, estiment que « les modalités retenues par la loi ne sont pas, en l’état des connaissances scientifiques et techniques, manifestement inappropriées à l’objectif de protection de l’environnement et de protection de la santé ».

Si le Conseil constitutionnel valide donc l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement, la décision n’en est pas pour autant que symbolique. En effet, par une ordonnance du 7 novembre dernier, le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg a appliqué directement ce « nouveau » droit et a suspendu, en urgence, une autorisation préfectorale portant prolongation de l’autorisation, donnée à une société, de stocker des produits dangereux, mais non radioactifs, en couches géologiques profondes. Le tribunal a estimé que « l’arrêté litigieux autorise le stockage de produits dangereux pour une durée illimitée et de manière irréversible, à environ cinq cents mètres en-dessous de la nappe phréatique d’Alsace » (TA de Strasbourg, 7 novembre 2023, n° 2307183).

Le Conseil d’État confirme l’utilité publique du projet

Les neuf sages du Conseil constitutionnel ayant confirmé la constitutionnalité de l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement, l’affaire est retournée devant le Conseil d’Etat qui a dû statuer sur la légalité du décret n° 2022-993 du 7 juillet 2022. La Haute juridiction administrative a rejeté la requête présentée par les associations de protection de l’environnement et les riverains. En particulier, le Conseil d’Etat note que « le dossier prévoit que la réversibilité du stockage des déchets radioactifs sera testée grâce à des essais de récupération des colis de déchets pendant la phase industrielle pilote, d’abord sur des maquettes de colis avant le début des opérations de stockage, puis dans des conditions réelles ». Enfin, il estime, après avoir mis en balance les avantages et les inconvénients, en termes de coût notamment, que le projet répond bien à un besoin d’utilité publique. (CE, 1er décembre 2023, n° 467331, 467370).