De nouvelles interactions à l’heure du travail hybride

Les managers sont amenés à composer avec des équipes de plus en plus hétérogènes, où cohabitent des salariés en présentiel et en distanciel. Face à la fragilisation de ces collectifs, ils doivent favoriser l’autonomie des collaborateurs tout en œuvrant pour redonner des perspectives et un cap à suivre, qui soit à la fois cohérent et stimulant. Le webmagazine du réseau Anact-Aract (associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail) organisait, le 13 janvier, une table-ronde sur le sujet.

De nouvelles interactions à l’heure du travail hybride

« Il faut s’autoriser à discuter et à expérimenter le travail au sein des entreprises », affirme Nathalie Gauvrit, chargée de mission à l’Anact. Une responsabilité que confirme Assia Milan, dirigeante de SeedWork, cabinet de conseil et d’accompagnement (Normandie) : « Il est impératif de discuter collectivement sur ‘comment communiquer ensemble’ et sur les usages en termes de communication. Il ne faut pas rester dans sa perception personnelle, mais coconstruire ensemble le sujet des pratiques de communication ».

Intentionnalité collaborative partagée

Un travail préalable d’autant plus important alors que la communication entre pairs a changé. Il est indispensable de repenser la communication et de s’interroger sur la valeur ajoutée de certains échanges. « Il faut échanger avec ses pairs, tester et expérimenter. La réponse est dans l’apprentissage et les échanges collectifs », poursuit Assia Milan. Nadia Barville-Deromas, chercheur en psychologie du travail et usages numériques, le constate : du fait des nouvelles technologies qui ont un impact fort sur la cadence des interactions, les collaborateurs interagissent différemment entre eux. « Elles jouent sur le volume d’informations qui transite. La densité et l’intensité des échanges numériques vont ainsi largement affecter la charge de travail et donc son intensité et sa densité ». En parallèle, « Les collaborateurs témoignent du fait qu’ils parlent moins entre eux, qu’ils disposent de moins de temps informels avec leurs collègues et qu’ils s’écrivent davantage », note, Assia Milan.

Forts de ces constats, les experts s’interrogent sur une éventuelle rupture de communication entre les collaborateurs. « On constate des écarts dans leur communication, avec certains d’entre eux qui peuvent se montrer réticents à appeler un collègue en télétravail, afin de ne pas le gêner et préférer attendre qu’il soit sur site pour échanger avec lui », poursuit Assia Milan. Plutôt que de parler d’une rupture dans la communication ou d’un manque d’efficience, Nadia Barville-Deromas préfère évoquer une nouvelle compétence qui se développe : « l’intentionnalité collaborative partagée ». La chercheuse la définit comme « la capacité à scanner son activité et celle des autres pour évaluer ce que l’on peut faire avec ses collaborateurs, en fonction de leurs disponibilités et de leur capacité à s’engager, et déterminer ainsi des moments communs pour travailler ensemble ». Etant donné que les collaborateurs ne se retrouvent plus au même endroit, au même moment, « il est nécessaire qu’ils soient capables de comprendre et d’identifier dans leur intentionnalité collaborative les moments où l’autre sera plus disponible ». Résultat, les choses ne se font plus en juste à temps. « Les collaborateurs doivent les reconsidérer différemment, dans une temporalité différente ».

Lien de subordination reconfiguré

Autre travers du télétravail, la confiance en soi des collaborateurs qui s’est en partie dégradée pour certains. Si Elodie Rayssac, DRH de Comdata Group, reconnaît qu’il a permis de générer moins d’absentéisme et de décupler la performance de l’entreprise, il semble également avoir généré des problématiques sur la confiance en soi. « Lorsqu’elles se retrouvent seules en télétravail, des personnes qui sont habituellement compétentes sur le poste de travail sur site, peuvent s’interroger sur leur capacité à gérer leur travail et voir leur confiance en elles s’étioler », constate la DRH. Un nouveau paramètre que doivent prendre en compte les managers.

En revanche, les liens entre manager et salarié ne se sont pas altérés avec l’hybridation du travail, considère Nadia Barville-Deromas. « On est plus sur une mutation. Les liens de subordination sont complètement reconfigurés. Beaucoup de salariés ont reconsidéré la manière de s’engager dans le travail et d’interagir avec leurs managers. Ces derniers confiant avoir des salariés qui interagissent effectivement différemment, mais qui restent force de propositions ». Sur cette question de la relation entre managers et salariés et de leurs liens, les experts rappellent que le télétravail va de pair avec une plus grande autonomie et une relation de confiance. Même si Assia Milan admet qu’il y a des cas de « managers qui confient être perdus « avec des salariés qui vivent leur vie ». Se pose alors la question du sens de l’entreprise ». Ce que justifie en partie Elodie Rayssac : « Quelques collaborateurs ont préféré cloisonner leurs vies privée et professionnelle, ce qui a pu désemparer certains managers ». Les experts plaident là encore pour ouvrir des discussions sur le travail et pour libérer la parole sur le sujet. Les espaces de discussion devant, notamment, permettre de faire tomber les tabous sur le télétravail.

Charlotte DE SAINTIGNON