Conjoncture

En 2024, une économie normalisée, mais de fortes incertitudes

2024 devrait être une année de normalisation des tendances économiques, selon le cabinet d'études Asterès. Les risques géopolitiques constituent une véritable épée de Damoclès qui peut faire tout basculer, mais ce ne serait pas le cas des mouvements actuels de protestation des agriculteurs.

(© Adobe Stock)
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« Normalisation » oui, mais avec toujours, une « épée de Damoclès » menaçante et imprévisible. Le 23 janvier, à Paris, lors d'une conférence de presse, Sylvain Bersinger, chef économiste chez Asterès, cabinet d'études, a délivré ses prévisions pour 2024.

Globalement, « après les deux grands chocs, sanitaire puis inflationniste, l'économie semble revenir à sa tendance de long terme », estime Sylvain Bersinger. L'ensemble des paramètres convergent en ce sens, à commencer par celui, clé, de la croissance. Le cabinet Asterès s'attend à un taux de croissance du PIB de l'ordre de 0,9%, un niveau de prévision qu'il partage avec la plupart des économistes. Sil a performance est modeste, toutefois, « ce n'est pas du tout un scénario de récession », résume Sylvain Bersinger. A la base de cette évolution, « la consommation devrait rebondir en 2024, après avoir souffert en 2022 et 2023 », poursuit l'économiste. La hausse de la consommation atteindrait 0,8%. A l'automne dernier, en effet, les courbes de l'inflation et des salaires se sont croisées. Ces derniers ont commencé à croître plus raidement que la première, ce qui va procurer aux ménages un gain « modeste » de pouvoir achat .

A contrario, « les investissements vont souffrir des taux d'intérêt élevés qui vont probablement le rester toute l'année », poursuit Sylvain Bersinger. Côté ménages, les investissements (immobilier) qui ont déjà diminué en 2023 devraient poursuivre leur baisse. Et côté entreprises, ils devraient ralentir en 2024, pour atteindre 0,8%, un rythme deux fois moins rapide que l'année précédente.

Autre paramètre de la croissance, le commerce extérieur. En volume, on peut être « un peu optimiste » sur sa contribution à la croissance, estime Sylvain Bersinger. Les exportations devraient être légèrement stimulées, notamment par une modeste reprise en Allemagne. Cette évolution devrait se faire, en particulier, au bénéfice de l'aéronautique. A contrario, les importations resteraient limitées en raison de la faiblesse de la consommation et de l'investissement en France.

Inflation et crise du monde agricole

Autre évolution très positive, « en 2024, nous allons commencer à voir la fin de ce choc inflationniste, inédit depuis 40 ans », estime Sylvain Bersinger. L'inflation devrait progressivement ralentir pour atteindre un taux de 2,4% environ, poursuivant la tendance de 2023. Par ailleurs, « l'inflation change de visage avec des postes qui baissent et d'autres qui prennent le relais », poursuit l'économiste. En raison de l'augmentation du coût du travail, les services connaîtraient une inflation plus importante que l'an dernier (+4,5%). En revanche, celle des produits manufacturés devrait poursuivre la tendance baissière entamée en 2023 et se limiter à 1%. Et surtout, l'inflation alimentaire, qui avait atteint le pic le plus important (+15%) devrait disparaître. Les prix dans les rayons devraient retrouver une stabilité. Un « scenario réaliste », selon Sylvain Bersinger : la tendance déflationniste est déjà perceptible le long de la filière, à commencer par la sortie de ferme, où les prix ont baissé. Et pour l'économiste, le mouvement social actuel des agriculteurs, qui ont été très fortement impactés par le choc inflationniste, ne devrait pas infléchir l'évolution actuelle des prix de manière significative. « Les gouvernements ne souhaitent pas voir flamber les prix alimentaires, ils iront plutôt vers des types d'aides qui ne les impactent pas », estime Sylvain Bersinger. Par ailleurs, rappelle l'économiste, de manière générale, les mouvements sociaux n'ont pas d'impact sur les évolutions de long terme de la croissance. Ce ne fut le cas ni du mouvement des Gilets jaunes, ni de celui contre la réforme des retraites. Pour cette grève, « nous avons observé des effets de rattrapage très importants dans les jours et les mois qui suivaient. Sur un trimestre et sur un an, l'événement n'a pas vraiment eu d'impact macroéconomique », précise Sylvain Bersinger. Même en 1968, avec ses blocages d'usines et ses grèves, « sur un trimestre, le PIB a plongé de 5%, mais il n'y a pas d'effet sur la tendance annuelle de croissance », termine-t-il.

Des risques imprévisibles

Reste l'enjeu crucial de l'énergie, au cœur du choc inflationniste de 2021 et 2022. Pour 2024, elle devrait être de 5% . Dans le détail, le cabinet Asterès mise sur une hausse des prix de l'électricité ( +10% en février ) et du gaz,( +11% en juillet). En revanche, les prix du pétrole devraient rester stables. « Pour l'instant, il n'y a pas de choc pétrolier en vue », estime Sylvain Bersinger. En 2019, les Houthies, rebelles yéménites, s'en étaient pris à des installations pétrolières en Arabie Saoudite, faisant monter les cours. Ce n'est pas le cas ce mois de janvier avec leurs attaques des navires de commerce qui circulent en Mer Rouge. Et même sur le plan du commerce mondial, l'impact reste pour l'instant relatif « on constate une baisse du trafic, mais pas de paralysie. La situation n'est pas comparable à celle de 2021 avec le blocage du canal de Suez », poursuit Sylvain Bersinger.

Dans le même sens, les coûts du fret ont augmenté en 2024, mais pas dans les proportions de 2021. Toutefois, sur ce sujet comme sur d'autres, « nos prévisions sont tributaires d'un environnement géopolitique qui peut se dégrader rapidement, mais dont l'évolution reste très difficile à prévoir », met en garde Sylvain Bersinger. Et la liste des tensions et des risques potentiels est longue. Au conflit au Moyen-Orient et ses conséquences s'ajoute la guerre en Ukraine qui s'éternise. L'Asie aussi pourrait devenir le théâtre d'un « choc très violent sur l'économie », si la Chine venait à attaquer Taïwan. En effet, le pays produit 60 % des semi-conducteurs du monde, dans un système industriel inégalé. Or, au début de l'année, les Taïwanais ont élu William Lai, un candidat ouvertement hostile à la Chine, exprimant leur désir de souveraineté. C'était la première élection d'une année qui sera historique à ce titre : Inde, Russie, USA.... « en 2024, environ la moitié de l'humanité va aller voter pour une élection nationale », pointe Sylvain Bersinger. Aux États-Unis, par exemple, l'hypothèse d'un retour de Donald Trump à la tête du pays laisserait augurer de très fortes tensions sur le commerce mondial (plutôt en 2025).