Territoires

Immobilier : le littoral à prix d’or

Les logements au bord de l’eau s’arrachent au prix de la pierre de taille au cœur des métropoles. La « littoralisation » de l’habitat, nourrie par le tourisme ou le télétravail, pèse sur les budgets et contraint à la mobilité. Le phénomène devrait conduire le gouvernement à limiter les avantages octroyés à la location saisonnière.

(c) Olivier Razemon pour DSI.
(c) Olivier Razemon pour DSI.

Dans le département du Morbihan, une nouvelle frontière mentale est apparue ces dernières années : la quatre-voies reliant Quimper à Rennes. Au sud de cet axe, situé à environ 20 kilomètres du littoral, les prix des logements ont beaucoup augmenté. Au nord, les professions dites « essentielles », fonctionnaires ou non, continuent à pouvoir se loger à des prix raisonnables, mais loin de leurs emplois, ce qui entraîne des déplacements plus longs, et pour la plupart, motorisés. Même Lorient, ville portuaire et industrielle, n’est pas épargnée par l’embourgeoisement.

On retrouve cette tendance, à des degrés divers, sur l’ensemble des littoraux. « Du fait de leur attractivité croissante, la hausse des prix et l’insuffisance de l’offre deviennent alarmantes dans les zones littorales », peut-on lire dans une étude sur « l’exode urbain » commandée par le gouvernement, et publiée en février dernier. Même le récent ralentissement du marché de l’immobilier ne gomme pas cette attractivité. Entre juin 2022 et juin 2023, les prix recensés dans les communes de bord de mer ont encore progressé de 3,4%, en moyenne. C’est certes inférieur à l’augmentation pour l’année 2022, 9%, mais cela reste au-dessus du marché pour l’ensemble de la France pour la même période, +0,4%.

Selon la société de conseil, spécialisée dans l'étude des marchés immobiliers résidentiels Adéquation, présente sur le littoral breton, la « littoralisation » de l’habitat est le fait de plusieurs catégories distinctes : « des seniors attirés par une retraite au soleil » et capables « d’acheter en cash », grâce à des apports constitués au cours de leur vie, des « investisseurs » ciblant la location meublée de courte durée et « des cadres supérieurs qui combinent télétravail et grande mobilité ». Le Covid, en bouleversant le rapport au travail, a aussi modifié les lieux d’habitation.

Une ruée au profit du périurbain

Mais la « ruée vers l’Ouest » avait commencé bien avant la pandémie. Les statistiques démographiques montrent ainsi une forte progression de la population des départements du Sud-ouest de la France, notamment sur les côtes, entre 2014 et 2020, au détriment de ceux du Nord-est. Cette poussée n’est pas uniforme. A l’intérieur des départements en croissance, ce ne sont pas les villes qui connaissent la plus forte poussée démographique. Dans le Morbihan, qui a gagné 60 000 habitants entre 2008 et 2022, la population de Vannes ou Lorient est restée stable. La pression immobilière se fait en revanche nettement ressentir dans les périphéries immédiates des deux villes, ainsi que dans les communes du rivage, avec vue directe sur la mer.

Cherchant à limiter les conséquences du phénomène pour les territoires concernés, plusieurs parlementaires, de droite comme de gauche, élus de zones littorales, mais aussi de Paris, voudraient limiter les locations de courte durée, dont Airbnb est le pourvoyeur le plus connu. Parmi les mesures qu’ils proposent figure la limitation à 90 du nombre annuel de nuits de location, contre 120 actuellement. Ils souhaitent également encadrer la pratique qui consiste à acquérir un bien dans le seul objectif de le louer à des touristes de passage. Les collectivités n’y gagnent rien, et doivent offrir des services supplémentaires, le nettoyage et l’entretien de la voirie ou le traitement des déchets. Enfin, les parlementaires ont pointé la différence de fiscalité entre la location nue, qui bénéficie d’un abattement de 30%, et la location meublée, pour laquelle l’abattement atteint 50%, et même 71% dans les zones tendues. « Vous êtes clairement incité à proposer votre studio ou votre trois-pièces en Airbnb plutôt qu’en location classique », résumait le député Julien Bayou (EELV), dans le magazine Capital, en mai dernier.

Les propriétaires de meublés s’insurgent

Il a fallu baptiser cet avantage « niche fiscale Airbnb » pour susciter l’intérêt de Bercy, prompt à trouver des recettes fiscales, afin de combler les excès du « quoi qu’il en coûte ». En matière de logement, Bruno Le Maire souhaite limiter les « effets d’aubaine », a-t-il annoncé récemment, espérant intégrer une harmonisation des abattements, au prochain projet de loi de Finances. Le dispositif fait partie de la liste des mesures destinées à « lutter contre l’attrition des logements en zone touristique », présentées par le gouvernement le 18 juillet*.

Certaines villes n’ont pas attendu les décisions gouvernementales, comme Annecy, prisée pour les rives de son lac, l’une des villes où l’immobilier est le plus cher de France. Le nombre de meublés touristiques enregistrés y a été multiplié par cinq en quatre ans et représente aujourd’hui 4% du parc immobilier. La municipalité a annoncé, en février dernier, une série de restrictions applicables en juin. Des seuils maximaux de logements touristiques ont été fixés dans trois zones très tendues ; les autorisations, qui existent déjà, sont limitées à une seule par propriétaire, et elles ne sont plus renouvelées tacitement. Mais la décision de la municipalité a été attaquée en référé par le Syndicat Annecy meublés et le Syndicat des conciergeries de Haute-Savoie qui défendent les intérêts catégoriels des propriétaires de logements loués sur Airbnb. Le tribunal administratif de Grenoble a suspendu, à la mi-juillet, les délibérations de la collectivité. La bataille du littoral ne fait que commencer...

* Voir notre article précédent : « Le gouvernement amorce la lutte contre le surlogement touristique ». Anne DAUBREE DSI 25/07/23