Ecologie

"L’affaire du siècle" : l’Etat reconnu en partie responsable d’un préjudice écologique

Dans un jugement fleuve de près de 38 pages, du 3 février dernier, le tribunal administratif de Paris a statué sur "l’affaire du siècle". Il reconnaît l’Etat responsable d’un préjudice écologique, au sens de l’article 1246 du Code civil. Décryptage.

Photo d'illustration Adobe Stock
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Les associations Oxfam France, Notre Affaire à tous, Greenpeace France et la Fondation Hulot pour la Nature et l’Homme ont demandé aux membres du gouvernement concernés de réparer, ce qu’ils considéraient être un « préjudice écologique », résultant des carences de l’Etat en matière de lutte contre le changement climatique, et de mettre sans délai un terme à ces carences, en adoptant les réglementations adéquates.

Ces demandes ayant été rejetées, les associations ont attaqué le refus du gouvernement, en formant une requête devant le tribunal administratif de Paris. Elles demandaient, notamment, au tribunal d’enjoindre au Premier ministre de mettre un terme à l’ensemble des manquements constatés en matière de lutte contre le changement climatique. A l’occasion de ce contentieux, le tribunal administratif a donc été amené à définir l’étendue de la « responsabilité écologique » de l’Etat.

L’existence d’un préjudice écologique

Indépendamment de la responsabilité de l’Etat, le tribunal constate qu’il existe bien un « préjudice écologique » au sens de l’article 1246 du Code civil. En s’appuyant sur les rapports du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, il estime que : « l’augmentation constante de la température globale moyenne de la Terre (…) est due principalement aux émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique », et « ce réchauffement global atteindra 1,5°C entre 2030 et 2052, si ces émissions continuent d’augmenter au rythme actuel ».

De plus, la juridiction considère que : « chaque demi-degré de réchauffement global supplémentaire renforce très significativement les risques associés, en particulier pour les écosystèmes et les populations les plus vulnérables ». Et elle détaille : « En France, l’augmentation de la température moyenne, qui s’élève pour la décennie 2000-2009, à 1,14°C par rapport à la période 1960-1990, provoque notamment l’accélération de la perte de masse des glaciers, en particulier depuis 2003, l’aggravation de l’érosion côtière, qui affecte un quart des côtes françaises, et des risques de submersion ; fait peser de graves menaces sur la biodiversité des glaciers et du littoral ; entraîne l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, tels que les canicules, sécheresses, les incendies de forêts, précipitations extrêmes, les inondations et ouragans, risques auxquels sont exposés de manière forte 62 % de la population française, et contribue à l’augmentation de la pollution à l’ozone et à l’expansion des insectes vecteurs d’agents infectieux, tels que ceux de la dengue ou du chikungunya ».

Une fois ce constat quelque peu apocalyptique dressé, le tribunal administratif reconnaît l’Etat français en partie responsable du préjudice.

La responsabilité de l’Etat

Pour les associations, l’Etat français est en partie responsable de la situation : pour ambitieuse que soit sa politique environnementale, les objectifs fixés n’ont pas permis de limiter l’élévation de la température moyenne globale de l’atmosphère à 1,5°C et il n’a pas adopté la réglementation nécessaire pour lutter contre le changement climatique.

Sur le premier point la juridiction donne tort aux associations requérantes. Pour les magistrats, l’Etat français a en réalité, souscrit à des objectifs plus ambitieux encore que ceux fixés par l’Union européenne. Le problème ne vient donc pas de l’ambition, mais des réalisation concrètes. C’est sur ce deuxième point que le tribunal se montre plus sévère avec le gouvernement : la signature des engagements internationaux (convention cadre des Nations Unis sur les changements climatiques, « Pacte énergie Climat 2020 », accord de Paris …) auxquels l’État français a souscrit révèle qu’il a choisi de « mener une politique publique de réduction des émissions de gaz à effet de serre émis depuis le territoire national ». En d’autres termes, ces engagements ne sont pas de simples mots en l’air, mais engagent réellement l’Etat à des résultats et, à défaut, sa responsabilité.

Et c’est exactement sur ce point que le tribunal se positionne. En effet, s’il rejette les accusations relatives à l’amélioration de l’efficacité énergétique et celles sur l’augmentation de la part des énergies renouvelables, les magistrats estiment que les critiques portées à l’encontre de la politique de réduction des gaz à effet de serre de l’Etat sont fondées. En cause : le non respect du premier budget carbone qu’il s’était lui-même imposé : « au terme de la période 2015- 2018, la France a substantiellement dépassé, de 3,5 %, le premier budget carbone qu’elle s’était assignée (…), réalisant une baisse moyenne de ses émissions de 1,1 % par an, alors que le budget fixé imposait une réduction de l’ordre de 1,9 %, par an ». Et pour l’année 2019, « la diminution des émissions s’est élevée à 0,9 % par rapport à 2018, alors que le deuxième budget carbone, fixé pour la période 2019-2023, prévoit une diminution de 1,5 % par an ».

Au-delà des ambitions affichées par l’État, à grand renfort de communications officielles, les magistrats soulignent donc le peu de résultats concrets de la politique écologique.

Dans un souci de respect du principe du contradictoire, le tribunal décide de surseoir à statuer définitivement, pour laisser le temps (deux mois) aux associations de répondre aux observations formulées tardivement par le gouvernement. Peu de doute que la décision définitive s’écarte de ce jugement « avant-dire droit » d’une relative sévérité.