Europe

L’Allemagne, à nouveau l’homme malade de l’Europe ?

Stagnation de la production, faible progression des exportations, trop forte dépendance à la Chine et moral des entrepreneurs en berne : le modèle économique allemand semble être en panne…

(© Adobe Stock)
(© Adobe Stock)

L’Allemagne est-elle à nouveau l’homme malade de l’Europe ? Assurément, la panne de la locomotive industrielle de l’Union européenne (UE) inquiète de plus en plus les milieux d’affaires, à tel point que Christian Lindner, ministre des Finances allemand, a cherché à les rassurer en déclarant que « la dynamique de croissance n’est pas à la hauteur de nos ambitions, mais l’Allemagne est un pays très fort ». L’actuelle coalition politique en Allemagne — très divisée et confrontée à la montée du parti de la droite populiste AfD — peine à répondre à cette crise, que le chancelier Olaf Scholz semblait nier pendant des mois avant de se résoudre, ces derniers jours, à proposer un « pacte national » pour « remettre l’Allemagne sur les rails ».

Les moteurs économiques calent

Après avoir reculé successivement de 0,4 % et 0,1 % lors des deux trimestres précédents, signe d’une récession technique, le produit intérieur brut (PIB) allemand a affiché une croissance nulle entre avril et juin. Pourtant, le marché du travail demeure bien orienté, avec des salaires négociés en hausse en raison de l’inflation. Et durant les trois années de pandémie, le gouvernement allemand n’a pas hésité à faire litière de ses principes économiques, s’autorisant tout à la fois à déroger au frein à l’endettement public, à creuser le déficit budgétaire et même à contribuer au plan de relance européen, qui prévoit pourtant des transferts entre pays.

C’est au fond surtout l’industrie chimique et l’automobile, fers de lance du modèle économique allemand, qui ont connu le plus de difficultés conjoncturelles : hausse des coûts énergétiques, difficultés d’approvisionnement, recul des exportations, etc. Rien d’étonnant, donc, à ce que le moral des entrepreneurs, mesuré entre autres par le baromètre IFO, soit en berne. Mais des facteurs plus structurels entrent également en ligne de compte.

Le retournement du modèle allemand

Les réformes Schröder, au mitan des années 2000, consistaient pour l’essentiel à adosser la croissance allemande au commerce extérieur, en flexibilisant à outrance les emplois dans les services et en abaissant les coûts salariaux (réformes Hartz), afin de gagner en compétitivité-prix à l’export pour les produits industriels. Tant et si bien, que cette désinflation compétitive, pourtant interdite par les traités européens, aura fait de l’Allemagne le premier exportateur mondial au prix d’un sous-investissement chronique dans le pays. En témoignent les rapports officiels sur l’état très dégradé des infrastructures (autoroutes, chemins de fer, réseau numérique…) et les cris d’alarme lancés par les représentants des entreprises industrielles du pays, notamment la Fédération allemande de l’industrie (BDI).

L’arrêt de l’approvisionnement en gaz russe aura mis au jour la forte dépendance de l’industrie allemande à cette énergie jusque-là bon marché, politique énergétique qui avait permis le miracle allemand dans les années 2000 et l’investissement important dans les énergies renouvelables. Cependant, à défaut du nucléaire, dont le gouvernement ne veut plus entendre parler, l’actuel parc d’éoliennes et de centrales solaires n’est pas suffisant (le sera-t-il est une autre question…) pour répondre à tous les besoins. D’où, au-delà des tentatives de construction en urgence de terminaux de regazéification pour recevoir du gaz naturel liquéfié (GNL), la nécessité de faire tourner les polluantes centrales à charbon, malgré les impératifs de transition écologique et les objectifs chiffrés de réduction des émissions de CO2 du Pacte vert européen.

En outre, adosser la croissance allemande aux exportations a conduit les entreprises à bien trop privilégier le marché chinois. Et lorsque ce dernier se contracte, en raison de déboires économiques nombreux, les exportations allemandes dans ce pays reculent nettement. Cette forte dépendance à l’Empire du Milieu est à l’évidence un piège, d’autant plus redoutable que la Chine lui livre au même moment une concurrence à outrance — déloyale, disent certains, au vu des prix pratiqués — sur les voitures, notamment électriques. BMW, Mercedes et Volkswagen, dont le chiffre d’affaires résulte pour un tiers du marché chinois, font depuis grise mine.

Ainsi, tous les facteurs qui faisaient, il y a vingt ans, la force du miracle économique allemand semblent s’être retournés. Quant au vieillissement de la population, il se poursuit inexorablement, ce qui ne manquera pas de peser à terme sur la croissance, d’autant plus que la question de l’immigration de travail demeure politiquement explosive.

En renouant avec l’orthodoxie budgétaire et en mettant en avant ses réussites, la coalition allemande veut donner des gages sur sa capacité à sortir seule de l’ornière et à poursuivre — en priorité — son destin national. Cela tempère les espoirs d’un recentrage éventuel des intérêts allemands sur l’UE, d’autant qu’il est peu probable que l’Allemagne abandonne sa position de leader pour se contenter de celle de suiveur en Europe !

Raphaël DIDIER