L'énergie, une variable économique qui reste très incertaine

À Mont-Saint-Aignan, le pôle régional de suivi et d'analyse économique de Rouen a tenté de décrypter le marché de l'énergie et ses impacts sur l'économie.

De g. à dr. : Denis Ranvel, Patrick Coquelet, Yannick Kalatzis et Julien Pouget, lors de la table ronde animée par Michel Jérôme. (© Aletheia Press / B.Delabre)
De g. à dr. : Denis Ranvel, Patrick Coquelet, Yannick Kalatzis et Julien Pouget, lors de la table ronde animée par Michel Jérôme. (© Aletheia Press / B.Delabre)

Voilà un peu plus d'un an que, décidément, l'énergie est devenue la préoccupation principale des économies occidentales. Jusqu'ici bercées par le gaz russe, le pétrole saoudien et le nucléaire français, elles se sont brutalement réveillées au son du canon à la frontière ukrainienne, résonnant dans la corrosion sous contrainte des centrales nucléaires françaises. Rien d'étonnant donc à ce que le pôle régional de suivi et d'analyse économique de Rouen, ait choisi ce thème pour sa conférence, le 2 mars à la Neoma Business School de Mont-Saint-Aignan.

Devant un amphithéâtre pourtant bien vide pour l'occasion, des chefs d'entreprises témoignent. « Cela devient un très gros secteur de dépense », insiste Denis Ranvel, directeur régional Ouest et Nord chez Léon Grosse. Malgré ses 800 M€ de chiffre d'affaires l'entreprise du bâtiment est naturellement exposée. « Nous consommons 10 GW par an environ. Sur certains chantiers on a vu passer la facture de 4 000 à 20 000 €. Et nous sommes passés d'un tarif de 60 € / MWh à 295 € / MWh. »

Vers une croissance à petite vitesse ?

« C'est une chose très brutale », ajoute Patrick Coquelet, président de Polytechs, une entreprise située à seulement 8 km de la centrale de Paluel. Dans les années 80, on venait le voir pour l'encourager à conduire de nouveaux projets pour consommer davantage... Aujourd'hui il voit sa facture annuelle passer de 1 M€ à 2,5 M€ et peut-être même 2,7 M€. Les solutions qui existent n'en sont pas vraiment. Des pansements sur des fractures. « On va essayer d'en répercuter une partie sur nos clients. Mais si on arrive à répercuter 20 à 25 % de cette hausse, ce sera déjà bien », commente Patrick Coquelet, qui a aussi lancé un bilan énergétique. « Les économies sont estimées à 8 à 12 % de la note. Mais l'essentiel va être pris sur nos marges. » Conséquence directe, le calendrier des investissements a été ré-étalonné ; du temps de perdu dans la course à la compétitivité.

Pourtant, du point de vue de l'Insee, la situation n'est pas alarmante. L'institut de la statistique et des études économiques note en effet que l'inflation a « un impact moins important que ce qu'on pouvait craindre sur l'économie », du moins à l'échelle nationale. Si certaines branches souffrent particulièrement (comme l'industrie de la chimie par exemple), d'autres bénéficient encore de l'effet de rattrapage post-Covid (comme l'automobile). « Nous sommes dans une situation conjoncturelle très incertaine, mais d'une incertitude plutôt favorable », tempère Julien Pouget, chef du département de la Conjoncture à l'Insee. On ne s'en va pas a priori vers une récession, mais plutôt vers un retour à une croissance à petite vitesse. »

Géopolitique et changement climatique

Néanmoins, le prix de l'énergie reste sous haute surveillance. La hausse brutale de 2022 semble à peu près absorbée, mais rien ne laisse penser que les prix pourraient revenir à leur niveau d'avant. Le spectre du blackout est écarté pour cette année, « mais rien n'est joué pour l'année prochaine insiste Yannick Kalatzis, directeur de l'économie et de la coopération internationale à la Banque de France. Il faut reconstituer nos stocks pour l'hiver prochain. Et même si la demande a baissé de manière substantielle en France (-10 à -20 % par rapport aux années précédentes), du fait des économies, la situation reste tendue. Avec d'une part la Russie qui continue à diminuer ses approvisionnements, et de l'autre, la Chine dont l'activité est repartie à plein régime après la levée des restrictions sanitaires. »

Au-delà des disponibilités la question du coût du carbone va de plus en plus peser sur le coût énergétique. Et les prédictions sont difficiles à réaliser car dépendantes principalement de décisions politiques. Mais selon Christian Gollier, président de la Toulouse School of Economics, « quelle que soit l'approche, le prix du Carbone va augmenter considérablement. » Il pourrait passer de 69 € (en 2020) à 775 € la tonne de dioxyde de carbone émise en 2050... Certaines prévisions iraient même jusqu'à des sommets de l'ordre de 2000 € la tonne, au même horizon, si ce coût n'est pas partagé à l'échelle de la planète. « Si on ne résout pas le dumping environnemental actuel, on va vers des transferts de croissance importants, conclut Christian Gollier. Il faut absolument que l'Europe convainc ses partenaires à l'OMC du bienfondé d'un ajustement Carbone aux frontières... Et il va falloir aller très, très vite. »

Pour Aletheia Press, Benoit Delabre