L'investissement en immobilier d'entreprise opère sa mutation

Le marché de l'investissement en immobilier d'entreprise a connu une baisse de 12% au premier trimestre 2022. Au delà de cette chute, c'est aussi une transformation du marché qui s'opère, d'après Knight Frank, spécialiste du conseil dans le secteur.

L'investissement en immobilier d'entreprise opère sa mutation

Une baisse « relative » et aussi des changements non négligeables : tel est le bilan du marché français de l’investissement en immobilier d’entreprise au premier trimestre 2022, d'après Knight Frank, spécialiste du conseil dans le secteur. Dans un communiqué du 8 avril, il annonce donc une baisse du marché. Ce dernier a diminué de 12% ce premier trimestre par rapport à la même période de l'an passé, pour atteindre 4,7 milliards d’euros. La chute reste néanmoins relative : la performance du trimestre est supérieure de 15 % à la moyenne décennale et se place même dans le Top 5 des meilleurs premiers trimestres de l’histoire.

Dans le détail, l'évolution négative du marché est due à plusieurs facteurs, parmi lesquels la diminution du nombre de grandes opérations (supérieures à 100 millions d'euros) : 13 transactions de cet ordre ont été enregistrées depuis le début de l’année, contre 15 l’an passé à la même période et 21 au 1er trimestre 2020. Autre facteur qui explique la baisse constatée, l'évolution des investissements en immobilier de bureaux, qui joue traditionnellement le rôle de moteur du marché : 2,2 milliards d’euros y ont été investis début 2022, soit une baisse de 45 % en un an. Résultat, la part de ce segment est en net recul, poursuivant une tendance déjà manifeste en 2021. Il ne représente plus que 46 % de l’ensemble des volumes investis dans l’Hexagone en 2022, contre 74 % à la même période de l’an passé. Et dans ce cadre, l’Île-de-France voit sa domination s’éroder légèrement à l’échelle nationale. Ainsi, avec 1,7 milliard d’euros investis en bureaux, la région ne représente plus que 77 % des sommes engagées sur le marché tertiaire hexagonal, contre 87 % il y a un an. A contrario, dans le reste de la France, le dynamisme observé l’an passé s’est confirmé ce premier trimestre 2022 : les volumes investis en bureaux sont restés quasi stables par rapport à la même période en 2020 et 2021.

La logistique, nouvel eldorado

A rebours de la tendance baissière de l'investissement dans l'immobilier de bureaux, Knight Frank observe un dynamisme pour celui industriel et des commerces. Sur ce dernier, se confirme le regain déjà entamé à partir du deuxième trimestre 2021. Sur les trois premiers mois de 2022, 1,2 milliard d’euros y ont été investis, soit 26 % des sommes engagées sur le marché immobilier français. L'an dernier, à la même période, ce segment avait quasiment disparu des radars avec à peine 200 millions d’euros investis... Mais l'effet de rattrapage n'explique que partiellement la croissance actuelle. « Cette classe d’actifs a malgré tout démontré sa solidité et est en train de se réinventer, offrant de réelles opportunités aux investisseurs », estime David Bourla, directeur des études chez Knight Frank France, dans un communiqué.

Dans ce segment, les centres commerciaux concentrent près de la moitié des sommes investies (par exemple, à Bordeaux). Les volumes représentés par les actifs de pied d’immeuble, eux, restent assez limités, en raison du nombre restreint de transactions significatives sur les artères prime parisiennes. Par ailleurs, deux des classes d’actifs ayant le mieux résisté à la crise sanitaire ont rassemblé des volumes moins importants, mais tout de même significatifs : l’alimentaire et la périphérie. Au total, « 2022 s’annonce donc comme une bonne année pour les commerces, même si la forte hausse de l’inflation et la dégradation de l’opinion des ménages font peser des risques importants sur la consommation », analyse Knight Frank.

Autre segment qui poursuit sa croissance, celui de l’immobilier industriel : plus d’1,2 milliard d’euros ont été investis ce premier trimestre, soit une hausse de 16 % par rapport à la même période de 2021 et de 108 % par rapport à la moyenne décennale. Ici, c'est c'est le segment de la logistique qui tire le marché : elle concentre 73 % des volumes ! « Depuis quelques années, l’immobilier industriel est entré dans une autre dimension, qu’il s’agisse de grands entrepôts, de locaux d’activités ou de data centers, le boom du e-commerce accroissant les besoins de stockage et de distribution liés à la livraison du dernier kilomètre et au ‘ big data ‘, dans un contexte de raréfaction de l’offre », analyse David Bourla.

La guerre et l'écologie vont impacter l'avenir

Reste à savoir comment vont évoluer ces différentes tendances dans le contexte actuel très mouvant. Déjà, s’ajoutant aux incertitudes liées à la crise sanitaire, le conflit russo-ukrainien a fortement accentué la prudence des investisseurs. Cela pourrait encore différer la reprise des investissements et freiner l’élan du marché locatif. Toutefois, au delà de ces réserves, « les fondamentaux du marché français restent solides. En tout premier lieu, la France est un pays stable, dont l’économie résiste davantage que celle d’autres grandes nations européennes. Elle peut donc faire valoir son statut de destination refuge dans un contexte géopolitique et financier particulièrement troublé », souligne David Bourla. Lequel constate que les investisseurs étrangers représentent 46 % des volumes investis depuis le début de 2022, et sont particulièrement présents sur les transactions de plus de 100 millions d'euros.

Autre signe encourageant, celui du regain de vigueur des commerces, une classe d'actifs largement malmenée ces dernières années. Enfin, la demande reste très forte pour la logistique. Celle-ci marque par ailleurs une transformation du marché qui se répartit de manière plus équilibrée sur le territoire qu'avant la crise sanitaire, avec une montée en puissance des métropoles régionales. Toutefois, « le conflit russo-ukrainien devrait lui aussi contribuer à remodeler le visage du marché immobilier français » ajoute David Bourla. En cause, le rôle de l'évolution de l'inflation et des taux d'intérêt, ainsi que la déstabilisation des chaînes approvisionnement et la pénurie de matières premières amplifiées par la guerre, qui aura des conséquences sur les coûts et délais de construction. Et aux retombées du conflit, il faut ajouter celles des contraintes écologiques qui vont s'imposer au secteur : les « sujets brûlants » de la disponibilité et des coûts de l'énergie accentuent la nécessité de verdir les patrimoines immobiliers, pour en garantir la soutenabilité et la liquidité sur le long terme...