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La Bénédictine : un produit unique et un génie du marketing

Issue de la transformation de 27 plantes et épices, la Bénédictine est un produit iconique de la ville de Fécamp. Elle a été créée par Alexandre Le Grand, négociant en vins et génie du marketing.

Une partie de la gamme Bénédictine : la classique, la Single Cask et la petite dernière, la 1888, vendue uniquement à Fécamp (© Aletheia Press / B.Delabre)
Une partie de la gamme Bénédictine : la classique, la Single Cask et la petite dernière, la 1888, vendue uniquement à Fécamp (© Aletheia Press / B.Delabre)

En Seine-Maritime, qui ne connaît pas la bénédictine. Cette liqueur, fabriquée à Fécamp, est l'un des fleurons du patrimoine culinaire. Et bien sûr, tout le monde connaît le "monastère bénédictin" dans lequel elle est élaborée... Vraiment ? En réalité, cette mythologie religieuse autour de la célèbre liqueur relève quasi-intégralement d'un formidable coup marketing, orchestré par Alexandre Le Grand, un fécampois fondateur de la Société Bénédictine.

Ce négociant en vins, aurait en effet "retrouvé" dans les archives familiales la recette d'un élixir de santé qui aurait été produit par les moines bénédictins au XVIe siècle à Fécamp. De cette trouvaille, l'homme construit un empire. Il reconstruit une recette, qu'il brevète, et autour d'elle tout un imaginaire marketing. Le packaging d'abord, avec une forme de bouteille particulière et reconnaissable (également protégée), étiquetée D.O.M. pour Deo Optimo Maximo. Une ligature autour du col des bouteilles porte le symbole de la croix et le sceau en cire au-dessus de l'étiquette est marqué d'un écusson avec 3 tiares. « Il était très croyant, et aurait demandé au pape l'autorisation d'utiliser cet écusson », explique Carolina Cherfils, guide senior au Palais de la Bénédictine, responsable des circuits de visite.

Une méthode de fabrication inchangée

L'incroyable palais-usine pensé par Alexandre Le Grand (dont la maquette a été exposée à l'exposition universelle de Paris) et qu'il n'a pas connu achevé. (© Aletheia Press / B.Delabre)

Pour renforcer cette image religieuse, Alexandre Le Grand transforme l'usine de production en un palais. Aussi magnifique qu'exubérant. Des vitraux ornent les fenêtres mêlant symbolique religieuse et gloire à la Bénédictine. Les lettres SB (pour société bénédictine) sont partout, plus ou moins cachées dans les papiers peints, les boiseries... « Beaucoup de gens pensent encore aujourd'hui que des moines ont vécu ici, mais pas du tout, sourit Carolina Cherfils. Même Alexandre Le Grand n'y a jamais vécu. C'est un lieu de production ». D'ailleurs, le palais a aujourd'hui encore cette vocation. Les ateliers et les caves sont toujours fonctionnels, bien que visitables. Les alambics sont toujours les mêmes que ceux qui étaient utilisés au début du XXe siècle. 10 distillateurs et une équipe d'herboristes y travaillent encore produisant l'intégralité de la Bénédictine produite dans le monde.

Mais cette Bénédictine d'ailleurs... On oublierait presque d'en parler. Fruit d'une transformation complexe de 27 plantes et épices à la recette jalousement gardée, elle a séduit le monde entier. En 1873, 10 ans après son lancement 150 000 bouteilles sont produites chaque année. En 1906, ce sont 1 416 000 bouteilles vendues à travers le monde entier. Alexandre Le Grand fait feu de tout bois, s'appuyant sur une stratégie publicitaire bien léchée, et conquiert l'Europe, la grande Russie et même l'Amérique, grâce notamment à une recette plus « sèche » associant la Bénédictine au Brandy. Il doit même lutter contre les nombreuses tentatives de contrefaçons lancées dans le monde entier (et dont un échantillon est exposé au Palais).

Un produit exporté à 96 %

Aujourd'hui encore, 1 000 000 de litres de Bénédictine Classique sont produits chaque année, par Bacardi, qui a racheté la société Bénédictine en 1986. Auxquels viennent s'ajouter les autres expressions de la gamme : la Bénédictine B&B (au Brandy), la Single Cask (ayant subi un vieillissement de 6 mois supplémentaires) et la 1888, surprenant assemblage avec du cognac. 96 % de la production est exportée. Singapour et la Malaisie représentent le plus gros marché. « Là-bas, c'est un produit de luxe, qui est notamment offert à la naissance d'un enfant », commente Carolina Cherfils. En France, pourtant, le produit séduit moins, avec la perte de l'habitude de consommer des liqueurs digestives. Mais la mixologie pourrait lui redonner ses lettres de noblesses. 11 cocktails signature ont ainsi été créés par Julien Escot pour le palais, et sont servis sous la verrière aux nombreux visiteurs. Ils sont près de 3 000 par semaine en période estivale.

Pour Aletheia Press, Benoit Delabre