La dette publique reste-t-elle soutenable ?

La hausse des taux d’intérêt soulève la question de la soutenabilité de la dette publique dans de nombreux pays de la zone euro, en particulier en France où elle atteint 116 % du PIB…

La dette publique reste-t-elle soutenable ?

Lors d’une conférence du Haut Conseil des finances publiques, organisée le 10 mai dernier, le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a prononcé un discours alarmiste sur la soutenabilité de la dette publique de la France. Il est vrai que face à la pandémie, le gouvernement a déployé un arsenal budgétaire sans précédent en temps de paix, composé d’aides d’urgence, de subventions, de prêts garantis par l’État (PGE), etc. Ce « quoi qu’il en coûte » a considérablement augmenté la dette publique entre 2020 et 2021, de 16 points du PIB en France, contre 12 points dans la zone euro. Et à présent que les taux d’intérêt remontent sur fond d’inflation, un taux d’endettement public de 116 % du PIB est-il encore supportable ?

Soutenabilité d’une dette publique

Par définition, une dette publique est soutenable tant que les administrations publiques qui se sont endettées (État, Sécurité sociale, organismes divers d’administration centrale et collectivités locales) sont en capacité d’assurer, à tout instant, le service de la dette accumulée. En l’état actuel des choses, cela suppose, entre autres, une capacité à lever de nouveaux impôts et le maintien de l’accès aux marchés financiers, puisque l’essentiel de la dette publique est émis sous forme d’obligations de plus ou moins long terme.

Très souvent, pour rendre le concept opérant, on le ramène à la stabilité dans le temps du ratio stock de dettes publiques sur PIB. Formellement, la soutenabilité de la dette publique est alors assurée, pour une année N, lorsque le solde public primaire (solde public avant paiement des intérêts sur la dette publique) est égal au produit du stock de dettes de l’année précédente par l’écart pour l’année N entre le taux d’intérêt moyen sur les titres de dette publique et le taux de croissance du PIB. Ainsi, lorsque le taux d’intérêt est supérieur au taux de croissance du PIB, la soutenabilité s’obtient au prix d’un excédent budgétaire primaire souvent associé à une politique budgétaire très restrictive.

Or, depuis quelques années, les États de la zone euro s’étaient habitués à vivre avec une croissance faible, mais juste supérieure aux taux d’intérêt nominaux quasi nuls, configuration qui leur permettait de conserver la soutenabilité à court terme de la dette publique, tout en creusant le déficit public. D’où finalement un non-respect quasi généralisé des règles du Pacte de stabilité et de croissance (endettement public inférieur à 60 % du PIB et déficit public < à 3 % du PIB), malgré les nombreux rappels à l’ordre de la Commission européenne.

Hausse des taux d’intérêt souverains et inflation

Cependant, avec le retour de l’inflation après une décennie de déflation rampante dans la zone euro, les taux d’intérêt ont commencé à augmenter, et en particulier les taux souverains. Comme le rappelle François Villeroy de Galhau, l’OAT à 10 ans, principale obligation utilisée par l’État français pour s’endetter, est ainsi passée de 0,1 % en mai 2021 à 1,6 % un an plus tard. Et tout porte à croire que les tensions actuelles pousseront encore davantage les taux d’intérêt vers le haut, ce qui renchérira à terme le coût du service de la dette. Pour l’instant, cette hausse n’est pas grave, puisque la dette négociable de l’État est pour l’essentiel à taux fixe, avec une durée de vie moyenne supérieure à 8 ans. Mais à un horizon de dix ans, les choses risquent d’être bien différentes…

Faut-il pour autant en déduire, comme le fait le Gouverneur de la Banque de France, qu’il est possible de conserver les limites fixées par les Traités tout en fixant « comme objectif opérationnel un plafonnement du taux de croissance des dépenses publiques » ? Outre que les taux d’endettement publics dans les États de la zone euro sont désormais à des niveaux si hauts que le retour au seuil de 60 % du PIB semble inatteignable, un tel objectif de croissance de la dépense publique risque fort de se muer en une politique de réduction budgétaire draconienne, qui conduirait à une récession profonde. « Axer le débat sur la qualité des dépenses publiques » est bien plus porteur, pour peu qu’il donne lieu à un véritable exercice démocratique de réflexion avec les citoyens sur la nature des missions de l’État. En tout état de cause, certaines dépenses publiques sont indispensables, soit qu’elles génèrent à terme un supplément de croissance (les « dépenses d’avenir »), soit qu’elles pérennisent la société (transition écologique, cohésion sociale…).

Quelle sera alors l’influence de l’inflation ? Elle accroît le PIB nominal et les recettes nominales de l’État, comme la TVA, et réduit la valeur réelle des remboursements mesurée par les taux d’intérêt réels, qui demeurent pour l’instant très souvent négatifs. L’inflation aura donc un effet favorable sur le taux d’endettement public tant qu’elle ne conduit pas à une baisse de la demande et une hausse des coûts de production telles, que le PIB réel s’en verrait affecté.

En définitive, la soutenabilité de la dette publique est donc autant affaire de politique que d’économie !