La difficile et indispensable adaptation au changement climatique

Les objectifs fixés par les accords de Paris ne seront pas tenus. La France va devoir s’adapter au réchauffement climatique, mais les outils de la politique publique ne sont pas taillés pour, et les obstacles nombreux, a montré un récent débat organisé par France Stratégie.

(c) Adobe Stock
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Le débat entre adaptation ou atténuation du changement climatique n’est plus d’actualité. Aujourd’hui, « on peut considérer que nous ne couperons pas à + 4 degrés au niveau français», estime Ronan Dantec, vice-président de la commission de l'Aménagement du territoire et du Développement durable au Sénat. Il intervenait lors d’un débat sur « Adaptation au changement climatique dans les territoires : comment avancer ? », organisé le 30 janvier par France Stratégie, organe de réflexion auprès de la Première ministre, à Paris. « Depuis quelques mois, nous voyons émerger un consensus sur le fait qu’il faut avancer sur la question de l’adaptation climatique. La question n’est plus de savoir ‘si’, mais ‘comment’ », note Morgane Nicol, directrice du Programme Territoires d'I4CE. Tous les intervenants de la table ronde se retrouvent sur cette même ligne : l’objectif fixé par les accords de Paris, qui prévoient de contenir l’augmentation de la température à moins de deux degrés, ne sera pas atteint. Il faut donc se préparer à vivre dans ce contexte. « Nous ne pouvons pas totalement séparer adaptation au réchauffement climatique et atténuation », admet Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. En conséquence, il souhaite, par exemple, que deux scénarios de trajectoire du climat – l’un remplissant les objectifs de l’accord de Paris, l’autre pas - soient envisagés dans l’élaboration de la loi de programmation de l’énergie.

Mais déjà, en termes d’action publique, certains ont devancé l’appel. Par exemple, depuis septembre 2022, L’ANRU, Agence nationale pour la rénovation urbaine, a adopté la démarche « quartiers résilients ». Elle prévoit que tous ses investissements soient passés au crible des critères de la durabilité. Autre exemple, dans la métropole de Nice, on cartographie les îlots de chaleur urbaine afin de pouvoir y déployer des solutions de rafraîchissement. Quant à Nantes Métropole, elle a mis sur pied un Programme d’actions de prévention des inondations (PAPI), qui s’adresse aux habitants et petits entrepreneurs. Ils peuvent réaliser un diagnostic gratuit de leur bien immobilier et identifier les mesures permettant de réduire sa vulnérabilité face aux inondations. « Un peu partout sur le territoire, nous assistons à des transformations prometteuses », constate Morgane Nicol. Mais pour l’essentiel, tout reste à faire : il faudrait, à chaque investissement public ou privé, au démarrage de toute activité, un « réflexe adaptation », plaide-t-elle. Cela implique une adaptation des processus de prise de décision en matière de politique publique.

Par ailleurs, les besoins sont extrêmement spécifiques selon les territoires (urbain, montagne, mer…). « Il est nécessaire de réaliser des diagnostics, et il existe des besoins importants d’ingénierie au niveau communal et également régional », souligne Boris Ravignon, président de l’ Ademe, Agence de la transition écologique, qui propose des aides en ce sens. Mais aussi, une telle démarche «nécessite d’ embarquer tout le monde », témoigne Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté. Par exemple, pour faire évoluer les agriculteurs conventionnels, il s’agit de les convaincre en fléchant des moyens de la Région vers des dispositifs qui leur permettent de se mettre dans cette trajectoire, tout en calmant les élus écologistes qui voudraient que la transformation soit plus rapide...

Le climat, risque social du XXIe siècle ?

Globalement, la France « n’est pas prête à faire face aux changements climatiques », estime Morgane Nicol. En effet, les obstacles à la mise en place d’une politique d’adaptation au réchauffement climatique sont nombreux. Certains relèvent des difficultés traditionnelles inhérentes aux politiques publiques hexagonales, d’autres tiennent à la nouveauté et la spécificité de l’enjeu climatique. En matière d’informations, par exemple, « la connaissance avance par à coups », souligne Cédric Audenis, commissaire général adjoint de France Stratégie. C’est notamment le cas avec les projections réalisées par les assureurs sur le coût des catastrophes naturelles. Mais « dans l’agriculture, nous manquons d’une vision consolidée », poursuit-il. Par ailleurs, les outils de la politique publique ne sont pas conçus pour intégrer cette donne. Par exemple, la dépense publique n’est pas structurellement soumise à des obligations en matière d’adaptation au climat. En la matière, il existe d’ailleurs une difficulté spécifique : « la tension entre le caractère incertain de l’impact d’une mesure et la nécessité de mettre rapidement en œuvre les solutions transformatives », pointe Cédric Audenis. Ces solutions, en effet, ont des impacts qui posent la question de leur acceptabilité. « Nous constatons que les actions d’adaptation sont plus fréquentes en réaction à des crises comme une inondation. (…) Il est plus simple de réagir dans ce cas que dans celui d’ une dégradation annoncée », constate-t-il.

Dans le même sens, Christophe Béchu se désole des « batailles » au Sénat sur le sujet qu’il juge « évident » de la démarche Zéro Artificialisation Nette (ZAN) qui impose aux collectivités de réduire le rythme d’artificialisation des terrains. Plus profondément encore, l’enjeu de la transformation climatique questionne les principes établis qui sous-tendent la politique publique nationale : « Allons-nous mutualiser ce risque comme nous l’avons fait pour le risque social après la deuxième guerre mondiale ? » interroge Cédric Audenis. Le propriétaire d’une maison atteinte par le recul du trait de côte doit-il être indemnisé ? Dans quelle mesure ? Faut-il interdire à une activité de s’installer dans les zones qui seront concernées par le recul du trait de côte en 2050 ? Ou alors, faut-il l’y autoriser sous des conditions qui prévoient l’exclusion de toute indemnité, en cas de dégâts à cette date ?

A côté de ces questions nouvelles, le bouleversement climatique repose aussi celles sempiternelles du fonctionnement administrativo-politique français. A commencer par l’articulation complexe entre le local et le national. Pour Morgane Nicol, des orientations doivent être définies au niveau de l’État. Toutefois, « beaucoup de leviers se situent au niveau territorial ». Or, « le chantier d’aujourd’hui est simple.Comment, à marche forcée rendre le territoire résilient ? Nous sommes confrontés à un système réglementaire qui n’est pas adapté à la vitesse d’action nécessaire. (…). Aujourd’hui, il est impossible de ne rien réaliser à court terme », estime Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule.