La mutation énergétique du marché immobilier

Le marché immobilier ne menace pas de s'écrouler, mais il devrait connaître son point d'inflexion cette année. Et les enjeux énergétiques pourraient le modifier en profondeur, estiment les experts du groupe bancaire BPCE.

Photo d'illustration Adobe Stock
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C'est la question que tout le monde se pose. « La fièvre immobilière que nous avons vécue et que nous sommes en train de vivre est-elle susceptible de retomber ? », interroge Alain Tourdjman, directeur études et prospective du Groupe BPCE. C'était le 18 janvier, lors d'une visioconférence de presse « Les rendez-vous Immobilier du Groupe BPCE ».

Pour l'instant, les indicateurs du marché ont atteint un niveau exceptionnel : 1,2 million de transactions sur un an, et un taux de rotation du parc qui a dépassé 3%. A la base, « l'immobilier est plus que jamais considéré comme une valeur sûre », souligne Alain Tourdjman. D'après le baromètre BPCE, par exemple, 63% des Français estiment qu'un investissement dans l'immobilier est préférable à un placement financier. Et ils considèrent également que les prix vont continuer à augmenter, même à long terme. Au total, « il existe un consensus généralisé sur le fait que l'immobilier constitue un bon placement aujourd'hui et qu'il va rester particulièrement attractif », résume l’expert. Les intentions des Français témoignent de cette vision : 29% d'entre eux ont un projet d'achat, vente ou déménagement. En ajoutant ceux qui souhaitent réaliser des travaux importants, ce sont les deux tiers des Français qui ont un projet immobilier. Toutefois, « nous constatons un recul significatif de certains projets », nuance Alain Tourdjman. Par exemple, les projets d'achat de résidence principale ont significativement baissé entre mai et novembre 2021, après avoir atteint un pic inédit. La baisse concerne aussi les projets d'acquisition des primo-accédants. « Cela laisse à penser que la fièvre immobilière est peut-être en train de retomber, en tout cas pour une partie de la clientèle. (...)Nous avons probablement devant nous une phase de ralentissement », estime l’expert. De fait, la part des Français qui considèrent que la période n'est pas propice à l'achat augmente. Elle est passée de 36 % en mai 2021 à 39% en novembre. A contrario, 42% d'entre eux pensent que c'est le moment de vendre (en novembre), contre 37% en mai 2021.

Par delà les projets encore nombreux des Français, certaines bases de la dynamique du marché demeurent stables, d'après l'analyse de la BPCE. En particulier, les taux d'intérêt, pour l'instant, sont encore bas, et les aides publiques préservent le pouvoir d'achat... De plus, d'autres relais de croissance apparaissent dont une demande d'habitat de qualité et le retour des investisseurs institutionnels sur le marché résidentiel. Toutefois, « des facteurs de ralentissement vont probablement jouer un rôle à partir de 2022. Ils ne sont pas de nature à créer une rupture, mais devraient marquer un point d'inflexion du marché », pointe Alain Tourdjman : c'est notamment le cas d'une probable fin de la baisse des taux d'intérêt, laquelle finance les hausses de prix actuelles des biens, de la diminution de certains projets des ménages, mais aussi de l'impact d'une application plus stricte des critères du HCSF, Haut Conseil de stabilité financière. Le DPE, diagnostic de performance énergétique, pourrait aussi jouer un rôle important. Au total, pour 2022, la BPCE s'attend à une baisse du nombre de transactions immobilières de l'ordre de 60 000 unités, principalement dans l'ancien.

L'efficacité énergétique devient un facteur « structurant » du marché

Parmi les dynamiques qui impactent l'évolution du marché de l'immobilier, celle liée aux questions énergétiques apparaît comme majeure, y compris sur le long terme. Elle est le fruit de la conjonction d'une multitude de facteurs. Tout d'abord, dans les projets des Français, « les intentions d' aménagement n'ont jamais été aussi hautes (…). Les Français ont réorienté leurs priorités vers l'investissement dans le logement, la bulle familiale », explique Alain Tourdjman. Ces investissements ont pris le pas sur ceux dans l'automobile, qui étaient à un niveau équivalent dans les années 1980. Le phénomène est massif : huit Français sur 10 déclarent vouloir réaliser des travaux d'entretien ou de rénovation. Et en particulier, 39% d'entre eux envisagent de réaliser des travaux de rénovation énergétique. A ce sujet, « il existe une convergence entre plusieurs phénomènes : l'évolution de la réglementation qui entraîne une prise de conscience ; des aides publiques auxquelles on a réussi à donner de la visibilité et qui paraissent adaptées ; une aspiration des ménages très forte, dans ce contexte où le fait d'avoir été obligés de vivre beaucoup dans son logement conduit à un souci d'investissement.Tout cela fait système », décrypte Alain Tourdjman.

Au cœur de ces projets de rénovation énergétique : la question du DPE. Il va jouer un « rôle important », pointe Alain Tourdjman. Et pour l'analyste, il s'agit d'un enjeu de long terme. Tendance de fond, l'évolution des réglementations concernant l'environnement qui touchent l'habitat constituent une pression nouvelle, de plus en plus forte pour les détenteurs de logements, qu'il s'agisse d'y habiter ou de le louer. Suite aux changements législatifs qui le rendent impératif, le statut du DPE a changé. Il est passé d' une préoccupation de ce qu'il faudrait faire « dans l'idéal » ou « dans une perspective de long terme », à une « obligation de plus en plus marquée, à court terme », analyse Alain Tourdjman. Au total, le DPE est en train de devenir un « indicateur extraordinairement structurant », notamment pour la valeur des biens. Avec plusieurs conséquences d'envergure. En effet, le DPE concerne environ 5 millions de logements, avec des enjeux à la fois sociaux et territoriaux : les logis classés F et G sont surreprésentés dans des zones économiquement peu actives, qui perdent des habitants, lesquels sont souvent âgés...Par ailleurs l'impact du DPE sur le parc locatif, (1,7 million de biens) promet d'être majeur. En effet, l'interdiction de louer les logements DPE de classe G est prévue pour 2025 et celle pour la classe F, pour 2028. Or, pointe Alain Tourdjman, il semble «douteux » que les quelque 600 000 biens loués classés G fassent l'objet de travaux d'ici 2025.

Autre difficulté en vue, celle concernant le logement collectif . Là aussi, s'attendre à ce que des centaines de copropriétés se mettent à réaliser des travaux de grande ampleur pour gagner des classes énergétiques semble « illusoire », vu la complexité de la démarche pointe l’expert. Et enfin, autre inconnue encore, l'impact du DPE sur les prix. Pour l'instant, « la demande est forte. Cette pression limite l'impact des DPE sur les prix. Lorsque cette pression diminuera, l'effet du DPE deviendra plus fort», analyse Alain Tourdjman. Certains biens pourraient même devenir impossibles à vendre.