Le Made in France, version intégration

La Fabrique Nomade, une association d'insertion des artisans d'art migrants, Agnès B, et Le Slip Français, proposent une mini-collection de mode en forme de démonstration : une insertion réussie bénéficie à tous.

Photo d'illustration
Photo d'illustration

Parfois, la mode n'a rien de futile. Le 23 septembre, dans les locaux parisiens de la styliste Agnès B, une conférence de presse annonçait une opération particulière : le lancement d'une « capsule » -une mini-collection, en langage mode - , composée de quatre bandanas différents et d'un tablier de cuisine. L'opération est portée par trois acteurs différents : Agnès B, célèbre créatrice, très engagée pour des causes environnementales et sociétales, Le Slip Français, entreprise née il y a dix ans sur un positionnement MIF, Made in France, et la Fabrique Nomade, association qui œuvre à l'insertion professionnelle des artisans d'art réfugiés et migrants régularisés en France. Quatre d'entre eux ont réalisé la « capsule ». Dont Bardagul Semedova, couturière azerbaïdjanaise qui, depuis son arrivée en France, devait se contenter de travaux de reprisage... Les trois autres couturiers viennent de Côte d'Ivoire, du Sénégal et d’Afghanistan. Tous ont été formés dans le cadre de la Fabrique Nomade, sise à Paris, dans le 12e arrondissement.

Pour cette collection, ils ont réalisé quelque 3 400 pièces. « Cela représente un changement d'échelle, par rapport aux séries que nous fabriquons chaque année », commente Inès Mesmar, fondatrice de l'association. Laquelle recevra les revenus générés par la micro-capsule, auxquelles s'ajouteront, à partir de la mi-octobre, les fonds recueillis lors d'une opération de financement participatif, via la plate-forme KissKissBankBank. Objectif ? « Agrandir notre atelier couture, car il existe des débouchés dans ce secteur qui est en pleine mutation », répond Inès Mesmar. Au total, elle vise l'insertion de 60 couturiers sur le marché en trois ans. L'association travaille déjà régulièrement en collaboration avec des fédérations professionnelles, le réseau né pendant la crise « Façon de faire » qui regroupe 418 ateliers du textile et de la mode mobilisés autour du MIF, ou encore avec Le Slip Français. Dans le cadre d'un partenariat à plusieurs volets, l’entreprise met notamment en relation l'association avec ses 29 fournisseurs et reverse 5% des revenus de ses ventes, chaque dernier vendredi du mois.

« Un gaspillage de compétences »

La Fabrique Nomade, composée d'une équipe d'une dizaine de personnes, adresse aussi d'autres métiers que la couture. « Nous voulons apporter la preuve qu'il est possible de faire beaucoup en créant des passerelles de manière intelligente. D'habitude, lorsqu'ils arrivent en France, l'expertise de ces artisans n'est pas reconnue. Ils sont orientés vers des métiers en tension. Pour eux, cela représente une perte de leur identité. C'est un gaspillage de compétences. Or, bien employées, celles-ci créent plus de richesses pour le pays. Et de son côté, l'artisan se voit reconnu pour ce qu'il est. Nous portons une vision différente de l'intégration », explique Inès Mesmar. Depuis sa création en 2016, l'atelier a formé une cinquantaine d'artisans bijoutiers, menuisiers....Ils viennent de 28 pays différents. Aujourd'hui, 76% des personnes passées par l'association disposent d'un emploi, d'après celle-ci. La formation, certifiante, qui dure neuf mois, les aide à adapter leurs techniques à celles utilisées en France. Par exemple, tous les couturiers du monde ne se servent pas de patrons, ni les bijoutiers, des mêmes matériaux...

Dans cette démarche, le monde du luxe aussi apporte sa contribution. Dans le cadre d'un partenariat noué en 2019 entre l'association et le groupe LVMH, chaque semaine, un artisan joaillier de la prestigieuse maison Chaumet se rend dans les locaux de La Fabrique Nomade, pour partager son savoir-faire. L'association mise aussi sur la solidarité entre artisans : un comité qui les regroupe se réunit chaque année, pour élire le vice-président de l'association.

Et, au delà de la formation technique proprement dite, durant 24 mois, la Fabrique Nomade accompagne aussi ces artisans dans leur démarche d'insertion au sens large, en collaboration avec des associations comme France Terre d'Asile. Par exemple, pour les aider à aller s'installer dans une région où se trouve un emploi disponible. « C'est plus qu'un emploi, c'est un projet de vie », commente Inès Mesmar. Et une vision de la société.