Le patrimoine cherche un pilote

Une véritable politique publique, plus de moyens financiers... A l'occasion du récent salon international du patrimoine culturel, à Paris, plusieurs associations de défense du patrimoine ont exprimé leurs vœux pour le quinquennat à venir.

Photo d'illustration Adobe Stock
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Un pilote ! Pour l'essentiel, c'est que demandent les acteurs associatifs engagés dans la défense du patrimoine, en matière de politique publique.... Fin octobre, à Paris,dans le cadre du salon international du patrimoine culturel plusieurs d'entre eux – tous reconnus d'utilité publique- se retrouvaient pour une table ronde consacrée à « De la Covid aux élections présidentielles 2022, où en est le patrimoine ? ». Le quinquennat qui s'achève a été marqué par des réalisations, dans le champs du patrimoine. En particulier, la mise en place du Loto qui lui est dédié a permis d'abonder très largement les fonds dont dispose la Fondation du Patrimoine pour aider à la restauration ou à l'entretien de celui-ci : ils sont passés de 40 à 80 millions d'euros. « Il s'agit d' une avancée très importante », reconnaît Philippe Toussaint président de VMF, Vieilles maisons françaises, qui réunit 18 000 adhérents, dont des propriétaires de maisons, et qui se consacre à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine bâti et paysager. Mais au delà de cette avancée, les bémols, en matière de politique publique, sont nombreux. Pour l'essentiel, ils se rapportent à une difficulté centrale : l'absence d'un « pilote », selon les termes de Philippe Toussaint. « Le développement de la Fondation du patrimoine ne s'est pas accompagné d'une définition d'une grande politique du patrimoine. Le financement ne fait pas une politique », estime-t-il. Résultat, par exemple, une pratique d'inventaire du patrimoine inefficace, contrairement à l'Allemagne.

Si Bercy décide...

Plusieurs autres signes de l'absence d'un « pilote » sont pointés par les associations : lors de la pandémie, les propriétaires de monuments historiques privés n'étaient pas éligibles au PGE (prêt garanti par l’État) ou au Fonds de solidarité, « oubliés » aussi du plan de relance, pointe Olivier de Lorgeril, président de Demeure Historique, qui regroupe des détenteurs de quelque 3 000 manoirs, abbayes, ou demeures remarquables, lesquels accueillent, chaque année, 9 millions de visiteurs. Des dispositifs ont par la suite été trouvés via le ministère de la Culture et l'intégration au Comité de filière tourisme. Quant à Olivier de Rohan Chabot, président de La Sauvegarde de l’Art Français, qui se consacre à la protection et la valorisation du patrimoine de l'Hexagone, il regrette le poids prépondérant de Bercy dans les décisions concernant la vente de patrimoine. Le ministère de la culture ? « Il ne pèse rien, face au ministère des Finances », dénonce t-il. Autre témoignage, celui de Maisons Paysannes de France, qui promeut la sauvegarde et la restauration de ce patrimoine rural. Pour Gilles Alglave, son président, ce patrimoine n'est pas suffisamment reconnu en temps que tel par les institutions. Et en particulier, par l’Éducation Nationale, qui ne l'enseigne pas. « C'est le parent pauvre », regrette-t-il, soulignant que de nombreux métiers d'art qui pourraient intéresser des jeunes actuellement en quête de sens, sont liés à ce patrimoine : tailleurs de pierre, charpentiers...

Les éoliennes déplaisent

Mais aujourd'hui, un thème impacte fortement les acteurs du patrimoine : l'environnement. « Il faut un seul ministre du patrimoine. Est celui de la Culture ? Ou celui de la Transition écologique ? », pointe Christophe Blanchard-Dignac, président délégué de Patrimoine- Environnement, fédération d'associations qui visent à sauvegarder les paysages et le patrimoine bâti. De fait, les implications potentielles de la politique publique en matière d'environnement sont multiples. A commencer par les « éoliennes qui nous font dresser les cheveux sur la tête », souligne Philippe Toussaint. Julien Lacaze, président de Sites et Monuments, évoque ainsi l'exemple d'un château charentais, financé par des gîtes, qui pourrait voir s'installer un parc éolien à 700 mètres de là... « Qui va vouloir aller dans ces gîtes? », s'insurge Julien Lacaze. Autre souci majeur pointé par les associations, celui des obligations concernant l'isolation des bâtiments, prévues dans le cadre de la loi Climat et résilience.

Autant de sujets sur lesquels « il faudrait que le ministère de la Culture soit consulté et actif », pointe Julien Lacaze, regrettant que cela ne soit pas le cas. Les défenseurs du patrimoine redoutent en effet que celui-ci ne soit défiguré par les mesures prises par les textes, par exemple en ce qui concerne le remplacement des menuiseries. Pour Christophe Blanchard-Dignac, « le patrimoine va avoir besoin de beaucoup d'argent pour assurer la transition énergétique et écologique. Ce n'est pas seulement un problème d'argent, mais cela l'est aussi ». A ce titre, propose-t-il, l'augmentation des sommes attribuées par la Française des jeux, via le Loto, pourrait constituer une ressource potentielle.

Les vieilles maisons, plus écologiques ?

Toutefois, le monde du patrimoine ne découvre pas l'écologie, rappellent plusieurs intervenants. « Nous travaillons déjà sur nos sites pour répondre aux enjeux générés par les changements climatiques (…), nous savons que le patrimoine offre des voies de résilience, et nous intégrons cette dimension dans nos pratiques », explique, par exemple, Marie-Georges Pagel-Brousse, présidente de Union Rempart, qui regroupe des associations qui restaurent des monuments. L'association a édité un livre blanc « Agir pour la transition écologique », qui pose ses engagements dans ce domaine. Plus encore, concernant le patrimoine rural, « nous sommes profondément dans l'écologie quand nous parlons de ce type de bâti », soutient Gilles Alglave. La loi met sur le même plan les édifices de bâti ancien, construits avant 1948, et ceux réalisés durant les Trente glorieuses, ère de l'énergie abondante et bon marché, les actuelles « passoires thermiques ». Or, les premiers sont réalisés avec des matériaux de proximité, recyclables, d'après Maisons Paysannes de France…

Dans l'ensemble, ces acteurs associatifs ont souffert de la pandémie, mais celle-ci a aussi eu quelques effets positifs. Ainsi « l'image de la ruralité a profondément évolué. On ne prononçait plus le mot rural. A présent, les citoyens ont pris conscience de l'importance de ce cadre de vie», note Gilles Alglave, évoquant les choix de départ de certains ménages des métropoles. « Nous espérons que ce regard nouveau va contribuer à ce que les législateurs considèrent le bâti ancien comme une culture à part entière », conclut-il.