Les artisans, optimistes et inquiets à la fois

Même si les trois quarts d'entre eux prévoient une poursuite de leur activité, les artisans s'inquiètent de l'impact du contexte international, d'après la Chambre des métiers et de l'artisanat. Laquelle met en garde sur les conséquences de la remise en cause des soutiens publics à l'apprentissage.

De gauche à droite, Julien Gondard, DG de la CMA et Joël Fourny, président de la CMA
De gauche à droite, Julien Gondard, DG de la CMA et Joël Fourny, président de la CMA

Entre tensions actuelles et risque d'accroissement de leurs difficultés structurelles, les artisans semblent garder le moral. Le 30 août, la CMA, Chambre des métiers et de l'artisanat a présenté un panorama de l'état d'esprit des entreprises artisanales et de leurs attentes, lors d'une conférence de presse, à Paris. Au total, l’artisanat représente 12% du PIB et 3,1 millions d’actifs pour 1,83 million d’entreprises. Bonne nouvelle, ce chiffre est en augmentation, avec 80 000 entreprises supplémentaires au premier semestre 2022.

Néanmoins, depuis mars, le climat a changé. Il y a six mois, en dépit des inquiétudes que faisait planer le début de la guerre en Ukraine, les entreprises artisanales faisaient état d'une « vraie volonté de se développer », rappelle Joël Fourny, président de la CMA. Leur priorité actuelle ? « Conserver l'existant, l'outil de travail et les hommes », poursuit-il. En effet, « la situation économique artisanale est plus préoccupante », pointe le président de la CMA. D'après l'étude Qualitest menée en juillet-août auprès de 2 000 artisans pour la CMA, leurs entreprises ressentent les effets de la crise. Parmi les difficultés les plus souvent évoquées, figure, en tête, la hausse du prix du carburant (28,5% des réponses). Suivent, la reprise de l'inflation hors énergie et carburant (18,8%) et les difficultés d'approvisionnement de matières premières (12,8%). Puis, à un niveau comparable (proche de 9%), la hausse du prix de l'énergie, le remboursement des aides, dont le PGE, Prêt Garanti par l’État.

Face aux contraintes nouvelles nées de la crise, certaines entreprises ont déjà pris des mesures. Par exemple, 46,2% déclarent avoir limité leurs déplacements pour économiser du carburant et 30% avoir fait la « chasse au gaspillage » ( extinction des lumières, baisse du chauffage...). Pour Joël Fourny, les artisans ont anticipé la démarche de « sobriété » à laquelle appelle le gouvernement, par exemple en orientant leurs investissements vers des modes de production moins énergivores. Et ils restent « combatifs ».

Leur vision de l'avenir et de leur activité reste toutefois mitigée : 87,6% d'entre eux se déclarent « inquiets » par rapport au contexte actuel, nourri par la guerre en Ukraine et l'inflation. Pour autant, 56,7% d'entre eux restent « optimistes » ou « confiants dans l'avenir malgré tout ». Et près des trois quarts prévoient de maintenir leur activité dans les six mois qui viennent. Pour autant, l'étude montre une grande diversité de situations : 46,7% des artisans jugent leur situation « moyenne », 36,6% bonne ou excellente, et 16,7% très mauvaise. Au total, un tiers des artisans vont jusqu'à estimer que la question de la survie de leur entreprise se pose. Dans le même sens, 27,5% d'entre eux prévoient que leur activité va se dégrader dans les six prochains mois. A contrario, 54,1% s'attendent à ce qu’elle reste stable, à moyen terme. Et 18,4% considèrent que leur situation va s'améliorer.

L'apprentissage, cause majeure

Mais toutes les difficultés actuelles des artisans ne découlent pas de la crise. En particulier, ils mettent au même niveau celles liées au phénomène nouveau de l'inflation et celles qui concernent le recrutement. « Avant le Covid, il existait déjà des tensions sur l'emploi. C'est encore plus le cas aujourd'hui. Pour les chefs d'entreprises, c'est le premier des sujets », souligne Joël Fourny. Aujourd'hui, 450 000 à 500 000 emplois sont à pourvoir dans l'artisanat. Partant, l'ensemble des enjeux traditionnellement prégnants, concernant les ressources humaines, l’emploi, les cessions d'entreprises (avec 300 000 d'entre elles à reprendre dans les 10 prochaines années), et la formation, le deviennent davantage encore.

En particulier, « le besoin de formation » reste un enjeu majeur, souligne Julien Gondard, directeur général de la CMA. D'après l' étude Qualitest, un tiers des chefs d'entreprise artisanale déclarent avoir des besoins en formation en 2022. Dans 56,8% des cas, il s'agit de formations à la pratique du métier, suivies de celles dans le numérique (33%), la gestion (27,1%), la réglementation (24,2%). Concernant la formation, la CMA s'inquiète vivement de l'actuelle remise en cause des dispositifs publics mis en place par le gouvernement pour soutenir l'apprentissage. En 2022, pour l'artisanat, il concerne 110 000 jeunes formés dans 137 CFA ; 80% trouvent un emploi dans les sept mois, d'après la CMA. Or, ce mois de septembre, les coûts-contrats, dont les centres de formation tirent leurs ressources depuis 2018, devraient diminuer. Initialement, une baisse moyenne de 10% était prévue en deux étapes, à l'automne, puis en avril. Mais la levée de bouclier des acteurs concernés semble aujourd'hui remettre en cause cette diminution.

Autre dispositif reconsidéré, celui des aides exceptionnelles de 5 000 euros pour le recrutement d'un alternant de moins de 18 ans et de 8 000 euros si celui-ci a au moins 18 ans : il devrait s'éteindre en décembre prochain. « J'ai toujours soutenu qu'il ne fallait pas parler d'aide. Il s'agit d' un accompagnement financier aux entreprises qui s'investissent dans la formation (…). Si ces mesures sont supprimées, on va assez rapidement constater un creux. Les 10 000 entreprises artisanales actuellement prêtes à s'engager risquent de renoncer, dans cette période de crise qui pousse à faire des économies », prévient Joël Fourny. Dans le même sens, la CMA s'inscrit en faux contre une vision comptable des sections d'apprentissage : éliminer celles qui ne seraient pas rentables ferait courir le risque de ne pas répondre aux besoins de certaines entreprises. Par ailleurs, « très clairement, les CFA ne se sont pas goinfrés », défend Joël Fourny.