Entreprises

Les PME font-elles face à un problème de financement ?

Le financement des PME ne constitue pas leur première préoccupation pour l'instant. Mais selon l'évolution de l'activité économique, le sujet pourrait devenir rapidement explosif, a montré une table-ronde organisée par l'AJPME.

Au centre, les trois intervenants : Virginie Normand, directrice des marchés spécialisés à Banque Populaire, François Asselin, président de la CPME, Frédéric Visnosvky, Médiateur du crédit à la Banque de France
Au centre, les trois intervenants : Virginie Normand, directrice des marchés spécialisés à Banque Populaire, François Asselin, président de la CPME, Frédéric Visnosvky, Médiateur du crédit à la Banque de France

Pas d'inquiétude immédiate, mais tout pourrait changer très vite. Le 14 juin, lors d'une table-ronde sur le financement des PME, organisée par l'AJPME, Association des journalistes spécialisés dans les PME, les intervenants étaient unanimes : le financement ne constitue pas aujourd'hui le problème majeur pour ces entreprises. A la base, en 2019, les sociétés avaient amélioré leur taux de marge. « Elles ont affronté la crise dans une situation relativement favorable », rappelle Frédéric Visnosvky, Médiateur du crédit à la Banque de France. Le soutien de l’État leur a ensuite permis de traverser la période du pic de la pandémie, sans connaître globalement de difficultés de financement. Au total, 240 milliards d'euros ont été distribués, d'après la Banque de France. Le PGE, prêt garanti par l’État, a constitué l'une des mesures phare (148 milliards d'euros). Pour l'essentiel, il a été distribué en 2020, et dans neuf cas sur dix, à des PME.

Autre mesure anti-crise, le prêt participatif n'a intéressé que peu d' entreprises : au total, les banques en ont distribué à hauteur d'un milliard d'euros. Au final, à l'issue du pic de la crise sanitaire, la proportion des quelque 200 000 entreprises analysées par la Banque de France jugées « fragiles » ne dépassait pas 14%. Il s'agit de celles qui cumulent hausse de leur endettement et baisse de leur trésorerie. Ce constat global sur l'état des sociétés se lit aussi dans l'activité de Banque Populaire auprès de ses clients. En 2020, l'établissement a distribué 16 milliards d'euros de crédit et 20 milliards d'euros de PGE. « nous ne voyons pas de signaux qui indiquent une situation de grande difficulté. Par endroits, certaines entreprises connaissent des problèmes, mais il s'agit le plus souvent de celles qui étaient déjà fragilisées avant la crise », analyse Virginie Normand, directrice des marchés spécialisés chez Banque Populaire. Autre signe d'une absence de tension dans la trésorerie dans les entreprises, 76% des PGE distribués par la banque n'ont pas été utilisés. Au total, pour l'instant, en dépit des crises qui se succèdent et s'accumulent, « le tissu économique tient le coup. La vraie question est : jusqu'à quand ? », interroge François Asselin, président de la CPME.

Rembourser le PGE

Car les entreprises font actuellement face à deux défis majeurs qui se télescopent, d'après le représentant des PME : le remboursement du PGE et la nécessité de contenir l'envolée de l'inflation, deux phénomènes lourds en implications pour le financement. « En avril, 86% de nos adhérents déclaraient ne pas pouvoir répercuter les hausses des prix de production sur leurs propres prix. Or, l'inflation continue à augmenter et les salariés aussi demandent des augmentations. Cela constitue un problème pour dégager de la marge, au moment même où commence le remboursement du PGE », décrypte François Asselin.

Au niveau institutionnel, la Banque de France n'enregistre pas, pour l'instant, de difficultés particulières au niveau de ces remboursements. « Les débuts se sont correctement déroulés. Nous allons voir si la tendance se maintient avec la crise ukrainienne », explique Frédéric Visnosvky. A date, le PGE représente 3% de pertes brutes seulement pour l’État (4,5 milliards d'euros) . Bref, sous réserve des importantes incertitudes actuelles, « la situation n'est pas particulièrement alarmante », conclut Frédéric Visnosvky. Le dispositif qui prévoit l'intervention de la Médiation du crédit dans la restructuration du PGE reste peu sollicité par les entreprises. Néanmoins, pour François Asselin, ce faible recours n'indique pas nécessairement une absence de difficultés. « Si très peu d'entreprises vont vers ce dispositif, c'est parce qu'il correspond à une mise en défaut de l'entreprise, ce qui rend l'accès au crédit très difficile », pointe-t-il. Pour la CPME, il manque un outil dans les mesures prises par le gouvernement : la possibilité d'étaler le remboursement du PGE sur une durée qui pourrait aller jusqu'à dix ans, via la Médiation du crédit et avec le support d'un tiers de confiance. Cette possibilité concernerait les entreprises au modèle économique sain, situées sur un marché porteur. « Cela concerne quelques belles PME », plaide François Asselin.

La clé de la poursuite de l'activité

Les difficultés de financement ne sont pas seules en cause, mais c'est à une hausse du nombre de défaillances d'entreprises qu'il faut s'attendre. « On ne mesure pas la hauteur de la vague, ni à quel moment elle va arriver », explique Virginie Normand. « La crise n'est pas soldée », confirme François Asselin. Lequel invite toutefois à se méfier d'un « effet loupe ». En effet, en raison des aides publiques, la sinistralité des entreprises a atteint un niveau anormalement bas. Retrouver un niveau de 60 000 défaillances sur les douze mois glissants constituerait donc une sorte de rattrapage logique. La vague se limitera-t-elle à ce niveau ? La CPME nourrit certaines inquiétudes qui concernent le financement. « Lorsque l'on descend dans la cartographie des entreprises, on n'est pas aussi sereins sur la question de l'endettement. On sent l'anxiété monter. Certains adhérents nous expliquent que si l'activité ralentit, la situation deviendra compliquée pour eux. Le sujet peut monter très vite. (…) Globalement, aujourd'hui, il y a de l'activité. S'agit-il d'une queue de comète du rattrapage de la sortie de crise ou d'un cycle qui va se poursuivre ? C'est la vraie question. Tout repose sur la poursuite ou pas de l'activité », alerte François Asselin. Et, rappelle Frédéric Visnosvky, le mode de financement des PME reste traditionnellement basé sur « une augmentation des fonds propres qui provient de la génération de résultats ». Quant au crédit, toutefois, les conditions d'accès à ce dernier ne devraient pas se durcir, estime pour sa part Virginie Normand.


Une lueur d'espoir et une nouveauté, au delà des phénomènes liés à la conjoncture : CPME et Banque Populaire constatent une augmentation du recours au private equity par les PME. « Des entreprises de taille plus modeste qu'auparavant s'y intéressent. Elles commencent à ouvrir un peu leur capital, dans des proportions qui leur permettent de garder le contrôle tout en trouvant des financements complémentaires », confirme Virginie Normand. A l'origine de ce changement, une plus grande disponibilité des entrepreneurs, une évolution du comportement des investisseurs et aussi, des contrats d'investissement et de pactes d'actionnaires qui permettent une meilleure cohabitation entre les uns et les autres.