Economie

Les supermarchés coopératifs, un modèle en devenir

Loin des processus rationalisés de la grande distribution, des acteurs de l’économie sociale proposent des produits alimentaires à prix modérés, grâce à des marges moins élevées et à l’engagement de bénévoles.

(c) Adobe Stock.
(c) Adobe Stock.

La grande surface alimentaire est-elle, comme le laissent entrevoir les décisions politiques visant à contrer l’inflation, l’unique horizon du consommateur ? Pas nécessairement. Les alternatives à l’hypermarché sont foisonnantes, bien que souvent méconnues. Les « supermarchés coopératifs » en font partie, qui mêlent « écologie et démocratie », comme le titre une étude consacrée à ces lieux de vente, réalisée par la Fabrique écologique, un think-tank spécialisé financé par du mécénat. Le document, publié fin novembre, a été commandé par la Fondation Carasso, créée par les héritiers du groupe Danone, comme dix autres études, dans le cadre d’une vaste enquête sur la manière dont les citoyens peuvent se réapproprier le système alimentaire.

« Il n’existe pas de définition formelle du supermarché coopératif », indique Jill Madelenat, directrice des études de la Fabrique, qui a écrit le document de 120 pages. Ces structures, généralement fondées dans les quartiers résidentiels des grandes villes par des groupes d’habitants non satisfaits de l’offre existante, présentent toutefois des caractéristiques communes. Sans but lucratif, elles proposent des gammes de produits les plus larges possibles à des prix avantageux, grâce à une faible marge et au bénévolat assumé par les membres. Au-delà des gestes quotidiens des « consomm’acteurs », qui, selon l’expression consacrée, « votent avec leur carte de crédit », ces lieux contribuent à « la repolitisation de l’accès à une alimentation saine et durable », note Jill Madelenat.

Le concept n’est pourtant pas nouveau. Les premières coopératives de consommateurs naissent au 19ème siècle industriel, lorsque les mouvements ouvriéristes veulent pourvoir les prolétaires urbains en denrées de qualité et bon marché. En 1900, au Royaume-Uni, on compte 2 000 coopératives réunissant 1,6 million de membres, d’après les recherches de la Fabrique écologique. Le mouvement demeure puissant jusqu’à la fin du 20ème siècle. En 1976, en France, les 7 000 magasins Coop, dont 300 hypermarchés, emploient encore 45 000 personnes et réalisent un chiffre d’affaires équivalant à 2 milliards d’euros. Le secteur s’effondre soudainement vers 1985, au moment où la grande distribution, grâce à un foncier pas cher distribué par des maires bénéficiant des lois de décentralisation, s’implante massivement autour des villes.

Les magasins actuels datent de la fin des années 2010. On compte une soixantaine de supermarchés coopératifs en France, dont La Louve, à Paris, et ses presque 10 000 membres, Superquinquin, à Lille, ou La Cagette à Toulon. A ces établissements s’ajoutent environ 350 « épiceries solidaires », plus petites, proposant moins de références, implantées dans des petites villes ou des villages.

Bien plus que des supermarchés

Le bénévolat est au cœur du fonctionnement. Les coopérateurs effectuent diverses tâches, de l’encaissement au travail administratif, en passant par le réassort, le ménage ou la communication. Certaines structures, puristes, se revendiquent de l’autogestion et refusent d’embaucher le moindre salarié. Mais la plupart d’entre elles ont recours à des employés, à l’image de leur modèle new-yorkais, le Park Slope Food Coop, fort de 17 000 membres, qui détient le record de « magasin alimentaire doté du plus grand chiffre d’affaires par mètre carré des Etats-Unis ». Outre le capital de départ investi par les membres, les supermarchés coopératifs bénéficient de subventions publiques et comptent sur le financement participatif.

Si « la moitié d’entre eux ont connu des difficultés consécutives à la pandémie et à l’inflation », constate Jill Madelenat, d’autres parviennent à l’équilibre, comme La Louve, à Paris. Malgré les petits volumes d’achat qui limitent leur capacité de négociation avec leurs fournisseurs, les coopératives parviennent à maintenir des prix bas, notamment pour les fruits et légumes bio, en maintenant des marges bien plus faibles que la grande distribution.

Mais ces lieux ne sont pas seulement consacrés à l’achat, puisque les coopérateurs y organisent des conférences, des formations militantes ou des ateliers de cuisine. « On y vient pour faire des choses ensemble, pour exercer des compétences qu’il est difficile de mettre en valeur dans l’entreprise », explique Jill Medelenat.

L’autrice s’est penchée sur la sociologie des coopérateurs. « Leur principal point commun est qu’ils sont issus d’une classe sociale très diplômée », observe-t-elle. Si leurs revenus sont hétérogènes, on ne trouve pas, dans les structures, la population des quartiers pauvres subissant la précarité alimentaire qui est pourtant la cible de ces initiatives. L’autrice souligne par ailleurs que 70% des membres « sont des femmes » et que les tâches, au sein des structures, demeurent réparties selon des habitudes genrées. Les hommes sont plus souvent affectés à l’informatique et au bricolage, et les femmes à la communication ou à la comptabilité.