Les terres agricoles demeurent convoitées

L’artificialisation des terres agricoles concerne encore près de 20 000 hectares en 2022, un chiffre en recul. Le foncier destiné à l’agriculture subit d’autres menaces, le mitage, les incendies ou la transformation de terres cultivables en champs photovoltaïques.

Les terres agricoles demeurent convoitées

Jusqu’alors, dans le tiers nord de la France, le besoin d’irrigation ne perturbait pas le marché foncier rural. Mais en 2022, « le prix s’est creusé entre les terres irriguées et celles qui ne le sont pas », observe Loïc Jégouzo, en charge des études à la Fédération nationale des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), en présentant les chiffres des marchés fonciers. La sécheresse, qui a sévi dans toute l’Europe à l’été 2022, comme les incendies, qui menacent les terres agricoles, font désormais partie des aléas, même dans les régions que l’on pensait épargnées. Comme le constate Emmanuel Hyest, président de la Fédération et agriculteur dans l’Eure, « l’actualité se charge de nous rappeler que ce que nous prenons pour acquis ne l’est malheureusement pas ».

En 2022, 374 000 transactions concernant des terres agricoles ont été enregistrées, un chiffre en baisse de 6% par rapport à 2021. Le montant total a diminué dans les mêmes proportions, à 46,2 milliards d’euros. Le nombre d’hectares concerné, 763 000, est stable. Les événements de ces dernières années ont tous, à leur manière, affecté un segment du marché agricole. Les confinements de 2020 avaient ainsi précipité la hausse des prix des « maisons à la campagne », les biens bâtis entourés de terrains de moins de 5 hectares, achetés par des non-agriculteurs. Mais cette période est révolue. Le nombre de ces transactions recule en 2022 de 12%, et en valeur de 7%, « après une nette hausse en 2020 et une explosion du marché en 2021 », indique Loïc Jégouzo. Les transactions se sont tassées partout, sauf dans le Grand Est, et ce recul est plus prononcé dans la grande couronne francilienne. « Ce n’était pas leur truc de venir à la campagne », ironise Emmanuel Hyest, en allusion à ces citadins ayant acquis une demeure isolée après le premier confinement et qui s’en sont mordus les doigts depuis.

En revanche, l’engouement pour un autre type de biens inquiète les Safer, qui se posent en gardiennes des terres agricoles. Les « espaces de loisir non bâtis », ces terrains que les propriétaires dédient à « un cheval, un poney, un cabanon », se multiplient, explique Loïc Jégouzo, qui poursuit : « Il s’agit de biens de taille réduite, mais ils sont très nombreux et contribuent au mitage de l’espace rural, tout en réduisant la surface agricole et accroissant le risque d’incendie, car ils sont moins surveillés ». La Fédération s’inquiète également de la transformation de terres cultivables en champs de panneaux solaires.

La perspective du « zéro artificialisation nette »

Pendant ce temps, l’urbanisation proprement dite, les biens à vocation agricole destinés à être construits, se contracte. Pour Emmanuel Hyest, c’est une bonne nouvelle. « Les acteurs intègrent le besoin de cesser de gaspiller les terres agricoles », commente le président de la Fédération. La perspective de la réglementation « zéro artificialisation nette », inclus dans la loi Climat et résilience de 2021, semble enfin ralentir les ardeurs des promoteurs immobiliers. Le nombre de transactions destinées à l’urbanisation recule de 37% en 2022, ce qui correspond à une baisse de 46% en surface. Les ventes de terrains destinés à l’urbanisation sont au plus bas en 2022, même si cela concerne « encore près de 20 000 hectares », soulignent les Safer.

Les incendies de l’été dernier et la guerre en Europe pèsent sur le marché des forêts. « Le bois est d’autant plus demandé que le marché russe s’est fermé », explique Loïc Jégouzo. Les ventes des grands massifs, qui comptent plus de 100 hectares, ont bondi de 14% en 2022, après plusieurs années de baisse. En valeur, l’ensemble du marché des forêts connaît une progression de 8%, même si le nombre de transactions recule de 3%.

La vigne enregistre, en revanche, des évolutions contrastées. Le marché perd 8% en valeur et gagne 5% en surfaces échangées. Le décalage est net entre les vignobles de Bourgogne, Beaujolais, Jura et Savoie, où les prix gagnent 9%, et la région de Bordeaux, en recul de 3%. Les vignes destinées au Bordeaux rouge ont même perdu 36% de leur valeur depuis quatre ans. « L’appellation est en crise », rappelle Loïc Jégouzo. Les vins intermédiaires, « Bordeaux supérieur » et « Bordeaux », ont subi la fermeture des restaurants, en 2020 et 2021, et plus généralement, la baisse de consommation de vin en France. « Les chais sont pleins », disent les viticulteurs, qui admettent ainsi, à demi-mots, une crise de surproduction. La stabilité des grands crus bordelais, Pauillac, Pomerol ou Saint-Julien, ne suffit pas à contrebalancer la tendance.

A l’inverse, le marché des terres et prés, dédiées à la culture ou à l’élevage, pourrait avoir atteint « un pic », indiquent les Safer. La hausse, nette en 2021, s’est poursuivie au rythme moins soutenu de 3,2% pour atteindre une valeur de 6 130 euros à l’hectare. Les terres et prés se vendent à prix plus élevé qu’ailleurs en Provence, en Champagne, en Normandie ou dans les Hauts-de-France. A l’inverse, la Bourgogne, le Limousin ou la Vendée font moins recette.

Les Safer observent par ailleurs une accélération du marché des parts sociales, susceptible de masquer des prises de contrôle non souhaitées. Il y a quelques années, l’acquisition de terres par des investisseurs chinois inquiétait les spécialistes. L’an dernier, les cessions de parts ou actions de sociétés, qu’il s’agisse de sociétés de portage, comme les groupements fonciers agricoles ou les sociétés d’exploitation, ont progressé de 25%. Cela correspond à 3 milliards d’euros, en hausse de plus de 100%. La Fédération explique cette hausse, constatée notamment en fin d’année, par la perspective de la loi Sempastous, entrée en vigueur le 1er mars de cette année. Ce texte, que l’on doit à Jean-Bernard Sempastous, député (LREM) des Hautes-Pyrénées de 2017 à 2022, soumet à autorisation de la Safer toute cession de parts sociales qui entraîne ou renforce la prise de contrôle. S’il est encore trop tôt pour évaluer les effets de la réglementation, les Safer y ont gagné un pouvoir qu’elles réclamaient depuis plusieurs années.