Ecologie

Penser l' "urgence climatique"

Loin de chercher à choquer avec des images spectaculaires, l'exposition parisienne « Urgence climatique » fait appel à l'intelligence. Avec des messages forts : le caractère indéniable des constats scientifiques et la nécessité de réaliser des choix de société radicaux.

(c) Anne DAUBREE
(c) Anne DAUBREE

Une « invitation à repenser le monde » : ainsi se présente l'exposition permanente « Urgence climatique », à la Cité des Sciences et de l'Industrie, à Paris. L' « invitation » se décline en différents modules, très pédagogiques. Ils vont de la présentation de constats à l'exploration des voies d'action. Car « repenser le monde » passe avant tout par le fait de le regarder en face, de prendre la mesure de l' « urgence climatique ». Avec, en filigrane, un rappel du rôle et du travail des grands acteurs de cette mesure du monde, les scientifiques.

Précisément, qu'est-ce-que le GIEC, par exemple ? Quelques panneaux, sous forme de bande-dessinée, sont là pour raconter le rôle et le fonctionnement du Groupe d'experts intergouvernementaux sur l'évolution du climat. Il est composé d'une assemblée générale qui regroupe les représentants des 195 pays de l'ONU et d'un bureau où siègent 36 scientifiques du monde entier aidés de très nombreux spécialistes. « Grâce aux travaux des scientifiques et du GIEC (…) les calculs et les modélisations se perfectionnent ; le climat est désormais l'un des domaines de recherche les plus documentés », rappelle un panneau de l'exposition, à laquelle les rapports du GIEC servent souvent de fil rouge.

Ouvrant le parcours, un globe terrestre se colore selon le scénario pour le futur élaboré par le GIEC que choisit le visiteur en pressant sur un bouton. Dans le scénario « SSP3 », marqué par des rivalités régionales, d'ici 2050 la mer atteindra des niveaux extrêmes jusqu'à 30 fois plus souvent qu'à la fin du XXe siècle. Et le niveau de réchauffement en Europe est de 3 degrés ! « Le temps presse », alerte un texte. Déjà, plus de 3,6 milliards d'humains vivent dans des pays considérés comme très vulnérables aux effets du changement climatique. Et l'origine du problème, identifiée par les scientifiques, est clairement désignée : « les liens de causalité entre augmentation de la consommation énergétique des pays les plus riches et changement climatique mondial sont établis ». Illustration chiffrée, avec, par exemple, la répartition des émissions de gaz à effet de serre en France (2020) : transports, 28,8%, agriculture et sylviculture, 20,6%, industrie, 18,5%, bâtiments résidentiels et tertiaire, 18,1%...

L'exposition relate aussi le travail même des scientifiques. En particulier, plusieurs petits documentaires, « Dans les coulisses du climat », racontent les projets d'équipes de chercheurs. Certains apportent leur contribution à la connaissance : « Sonder l'océan » est consacré au programme international Argo doté de 4 000 robots, des « flotteurs-profileurs ». Où l'on apprend les mécanismes qui font des phytoplanctons des acteurs « majeurs » dans le cycle mondial du carbone, notamment par leur contribution à piéger des tonnes de carbone qui se sédimentent dans les fonds marins. D'autres scientifiques s'appliquent à élaborer des solutions : « Sécheresse, le futur est dans le pré » montre une équipe qui met au point des plantes fourragères capables de « survivre à l'été 2025 ». Elle a mis sur pied un SICLEX, simulateur de sécheresse extrême, afin d'identifier les variétés – venues de toute l'Europe - qui résistent le mieux et de réaliser des croisements. Dans quelques années, elles seront peut-être déjà dans les prés …

Des choix collectifs

Mais si la science apporte connaissance et solutions techniques pour freiner ou s'adapter au dérèglement climatique, la solution ne peut résulter que d'un véritable choix politique.

Au terme de cet état des lieux et avant de passer à l'exploration de diverses possibles réponses, le visiteur de l'exposition est invité à prendre la mesure de son propre rôle dans le processus. « Bienvenu sur votre calculateur d'empreinte carbone » : des tablettes numériques permettent d'accéder à cet outil qui interroge sur les pratiques individuelles (nombre de repas hebdomadaires qui comportent de la viande, d'appareils électroménagers achetés annuellement... ). Quelques minutes suffisent pour connaître l'importance de son propre impact individuel. Mais le message n'est pas celui de culpabiliser l'individu. Il faut un « engagement plus global, solidaire et équitable ». « Il nous faut imaginer une société dans laquelle nous nous contenterions de vivre bien », proclame un panneau qui ose le terme de « sobriété ».

Plusieurs initiatives sont exposées qui illustrent comment des militants dessinent des voies possibles . A l'image d'« Énergie partagée » : depuis 2010, ce mouvement fédère et finance des projets de production d'énergie renouvelable, portés par des acteurs locaux ( 611 collectivités, et 7 000 actionnaires citoyens actuellement). Dans ce modèle alternatif, les opérateurs privés ne sont pas les seuls à définir les modalités d'implantation des projets et à « s'accaparer la valeur produite ». En effet, citoyens et collectivités investissent, participent à la gouvernance et au partage de la valeur.

Ensuite, une partie importante de l'exposition est consacrée aux voies alternatives possibles pour atteindre les objectifs de décarbonation. Petit panneau de rappel : l'objectif de neutralité carbone est pour 2050. Il a été fixé par l'Accord de Paris adopté en 2015 par 195 pays, dont la France. Mais comment faire pour atteindre cet objectif dans les domaines cruciaux de la ville, des modes de transports et de l'alimentation ? Dans ce dernier domaine, par exemple, il s'agit « d'atténuer les effets du changement climatique tout en assurant la sécurité alimentaire ». L'agroécologie, « approche qui associe, en tenant compte d'un contexte local spécifique, l'héritage des savoirs et de savoir-faire écologiques avec des techniques développées par les scientifiques », constitue une piste. Inde, Maroc, Éthiopie... plusieurs « récits » vidéos de l'agroécologie, illustrent ces pratiques. Parmi eux, le récit de Blandine Arcusa, paysanne boulangère, raconte sa manière de travailler – vente dans des AMAP (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne), rotation des cultures, sols peu ou pas labourés... - tout en pétrissant la pâte. Avec Vincent, elle cultive 22 hectares de céréales et légumineuses dans sa ferme de la Reyne, à Tourves (Var).


Des paroles et des actes


Peu de dispositifs multimédia ni de scénographie lumineuse nécessitant de grands moyens techniques... L'exposition « Urgence Climatique » a été réalisée en tenant en compte de son impact environnemental, de la conception jusqu'à sa vie de vie, afin de limiter son empreinte carbone. D'où une utilisation importante de bois-un épicéa provenant de France - , qui permet une économie de matière et sera pour l'essentiel réutilisé, réemployé ou recyclé.