Quelles perspectives face à l’inflation galopante ?

Quel est l’impact de la poussée inflationniste actuelle sur le pouvoir d’achat des Français et risque-t-elle de s’inscrire dans la durée ? Telles sont les grandes questions que la commission des Finances du Sénat a récemment soumises à un panel d’économistes, à l’heure où les parlementaires examinent le projet de loi pour le pouvoir d’achat.

Copyright : Pixabay
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Mieux comprendre les ressorts et les perspectives d’évolution de l’inflation. C’était l’objectif de l’audition conjointe organisée par la commission des Finances du Sénat, le 20

juillet dernier et à laquelle étaient conviés quatre économistes. Or, si les sénateurs ont pu constater « une certaine unanimité entre économistes sur l’analyse de l’inflation et son impact sur le pouvoir d’achat des Français », comme l’a souligné le président de la commission des Finances, Claude Raynal (PS), les avis divergent quant aux meilleurs moyens d’y faire face et une grande incertitude règne quant aux perspectives d’évolution de la situation dans le temps.

Une inflation d’origine importée

« C’est une inflation qui est surtout d’origine importée, celle d’origine domestique reste très maîtrisée », a expliqué Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), « c’est la hausse des prix des importations qui alimente l’inflation » du fait des « chocs d’offre sur les hydrocarbures et les matières premières ». Due « à des chocs exogènes », cette poussée inflationniste « est très déterminée par les prix de l’énergie et, de plus en plus, par ceux de l’alimentation » et « s’est peu à peu diffusée à d’autres sources, dont les matières premières et les biens manufacturés », a précisé Denis Ferrand, directeur général de l’institut d'études économiques Rexecode.

Quel impact sur le pouvoir d’achat des Français ?

« Pour les ménages, l’énergie représente à elle-seule la moitié du choc de prix », a poursuivi Denis Ferrand. Et l’impact est inégal selon les lieux de vie et la dépendance à la voiture pour se déplacer. Selon les données l’Insee, en avril 2022, l’inflation ressentie, estimée sur un an, était de 4,4 % pour un ménage habitant dans une grande ville et de 5,9 % en zone rurale. De fait, « l’inflation pourrait éliminer un peu plus de 40% de la sur-épargne constituée par les ménages pendant la crise sanitaire », a-t-il ajouté. Mais pour l’instant, le taux d’épargne des ménages français demeure élevé, et même supérieur à celui d’avant crise.

En parallèle, « le salaire moyen par tête est en progression de 5,1%, par rapport à son niveau de 2019 dans les sociétés non financières, ce qui correspond à une hausse de 0,2% en salaire réel : on a donc une stagnation du salaire réel » depuis 2019, a poursuivi Denis Ferrand. De quelle marge de manœuvre disposent les entreprises sur les salaires ? « Les marges de progression des salaires à long terme sont dépendantes des évolutions des gains de productivité. Or, pour l’instant, ces évolutions ne sont pas très bonnes : dans les branches marchandes, l’augmentation de la productivité horaire réelle est moindre que celle du salaire horaire. »

« La réponse sur les salaires reste assez modérée pour l’instant : le salaire mensuel de base a augmenté d’un peu plus de 2% au premier trimestre, alors que l’inflation était déjà supérieure à 4% », a relevé Mathieu Plane. Pour 2022, l’OFCE prévoit « une augmentation des salaires annuels de base de 3,6%, avec une inflation à 5,3% ». Les salariés perdent donc en pouvoir d’achat, « exceptées les personnes au SMIC, qui va augmenter de près 8% en moins d’un an. Ce qui va poser la question de la distribution des salaires pour les personnes qui sont juste au-dessus du SMIC, lorsque l’employeur n’a pas les moyens de les augmenter : ce sont les grands perdants. »

Le coût du soutien public

D’après Agnès Bénassy-Quéré, chef économiste à la direction générale du Trésor, le plan de soutien au pouvoir d’achat du gouvernement « représenterait au total 3% du pouvoir d’achat en France, contre 1 à 2% dans les autres pays européens ». Et « les mesures temporaires ont tendance à durer », ce qui est « très coûteux » pour les finances publiques. De plus, le fait de chercher à limiter et contrôler l’inflation entraîne « un effet de rattrapage, ensuite » et le risque que « cela dure plus longtemps qu’une poussée inflationniste courte ».

Effectivement, « en France, nous avons eu moins d’inflation que nos partenaires parce que nous avons eu des boucliers tarifaires [sur le gaz et l’électricité] et des remises sur le prix des carburants », a confirmé Mathieu Plane (OFCE), qui abonde sur « le coût budgétaire important pour le pays » : on ne pourra pas maintenir des dispositifs aussi larges éternellement, (...) surtout après les aides Covid. Il va falloir cibler les ménages en fonction de leur situation. Et lorsque l’on va réduire la voilure, on va créer un choc inflationniste pour les personnes qui étaient jusque-là protégées. On pourrait avoir davantage d’inflation que nos partenaires en 2023, par effet de rattrapage. »

Une inflation durable ?

Le retour de l’inflation est-il amené à s’inscrire dans la durée ? « Les économies de marché s’adaptent », a déclaré Éric Chaney, conseiller économique au sein de l’Institut Montaigne, mais qui s’exprimait à titre personnel. « L’offre va s’adapter mais il lui faut du temps, et si cela prend dix ans, il y a aura de l’inflation pendant dix ans. » Pour limiter la poussée inflationniste, il faut « modérer les hausses de salaires, qui alimentent l’emballement prix/salaires », ne pas « pousser les gens à consommer parce que cela nourrit l’inflation », mais « pousser l’épargne vers l’investissement ». En parallèle, il faudrait « encadrer les prix de l’énergie » et « envisager des rationnements ».

Autre perspective, si la situation économique venait à fortement se dégrader : « la récession est une arme anti-inflation », or « la probabilité d’une récession aux États-Unis et en Europe est assez importante à horizon de six mois », a-t-il ajouté. Reste que si le ralentissement de la croissance est bien « un stabilisateur de l’inflation », « les indicateurs ne sont pas tous négatifs, même si la conjoncture se dégrade », relève Agnès Bénassy-Quéré. « Si les prix du pétrole et du gaz continuent à augmenter, l’inflation continuera à augmenter et le risque de récession est évident et dépend beaucoup de l’approvisionnement en gaz russe », expose Mathieu Plane. C’est pourquoi, il faut « accélérer la transition énergétique pour répondre au choc sur l’énergie ».

Autres paramètres qui, selon l’OFCE, rendent les prévisions difficiles : l’incertitude sur les stratégies de gestion de la crise sanitaire – et en particulier sur la poursuite du « zéro Covid » par la Chine – et du risque inflationniste par la Banque centrale européenne (BCE), qui doit tenir compte « du risque de fragmentation de la zone euro qui est assez fragile sur ce terrain ». Enfin, « si tout revient à la normale [énergie, covid], pour l’économiste, l’on ne sera pas dans la boucle prix-salaire de la stagflation des années 1970, en raison de la désindexation des salaires, de l’indépendance de la BCE et du fait que les pays sont très ouverts au commerce et à la compétitivité. Mais cela fait quand même un choc négatif sur le pouvoir d’achat à court terme, et donc une question sociale qu’il va falloir résoudre à long terme. »