Santé des salariés : les experts au chevet des télétravailleurs

Lors d’une table ronde au Sénat, organisée par la délégation aux Entreprises, sur "L'impact des nouveaux modes de travail et de management sur la santé", des experts ont mis en avant les risques du télétravail pour la santé des salariés : troubles musculo-squelettiques, isolement, addictions, surengagement...


Photo d'illustration
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Le télétravail « ouvre la voie à une plus grande exposition aux maladies liées à l'inactivité physique et aux troubles oculaires liés au travail sur écran », met d’emblée en garde Stéphane Pimbert, directeur général de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), qui œuvre pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Autrement dit : l’accentuation des troubles musculo-squelettiques (TMS). La plus importante discrimination est liée à l'équipement des télétravailleurs et à leurs conditions de travail à domicile, tous les salariés n’étant pas logés à la même en enseigne en termes d’installation, de confort et d’équipement.

Pour Émilie Vayre, secrétaire générale de l'Association française de psychologie du travail et des organisations (AFPTO), et professeure à l'université Lumière Lyon 2, les télétravailleurs sont davantage exposés aux TMS (douleurs à la nuque, aux épaules, au dos, poignets ou mains) car « ils sont moins interrompus, prennent moins de pauses, de moins longue durée, et se déplacent peu ». Elle aussi cite les troubles liés au travail prolongé sur écran, entraînant à la fois une fatigue visuelle ou des maux de tête.

Risques psychosociaux

Deuxième danger : les risques psychosociaux, qui résultent de plusieurs facteurs. Parmi les principaux figurent l’isolement et la solitude. « Le premier caractérise celui qui est seul chez lui et qui n'arrive pas à se raccorder ou à s'accorder avec les autres, ce que la présence physique favorisait grâce à la ’conscience mutualisée’, qui permet de s'ajuster naturellement par rapport aux autres dans les open spaces ou à la machine à café, plutôt que de le faire artificiellement à distance (...). Quant à la solitude, c'est un sentiment déréliction, d'abandon : l'individu a le sentiment qu'il ne peut plus s'appuyer sur les autres et partager des difficultés au travail », détaille Marc-Éric Bobillier-Chaumon, membre du conseil d'administration de l'Association internationale de psychologie du travail de langue française (AIPTLF) et professeur au Cnam de Paris. En cause également, la perte de repères : le télétravailleur ne sait plus ce qu’il fait, ce qu’il produit et peine à se faire reconnaître pour ce qu’il apporte. « Or, le sentiment de reconnaissance et d'utilité est l'armature de la santé psychique et de l'identité professionnelle ».

Surengagement au travail

Autre danger, les risques psychiques. « Moins visibles, plus insidieux, ils ne se manifestent pas nécessairement dans l'immédiat », alerte Emilie Vayre. Déjà, avant la pandémie, l'usage des technologies mobiles favorisait le prolongement de l'activité professionnelle au domicile et l'expansion du travail au-delà des espaces-temps traditionnellement dédiés. De fait, on assistait à « un accroissement de la charge de travail et au renforcement de formes d'addiction : addiction au travail, comme aux technologies ». Pour s'en prémunir, les entreprises doivent fixer des règles d'usage des technologies sur lesquelles repose le télétravail, indique-t-elle. Démontrant que les télétravailleurs travaillent plus, plus longuement, Emilie Vayre constate « une charge de travail excessive, un sentiment de stress et de pression, tant du point de vue professionnel que personnel, qui peuvent conduire les télétravailleurs au surtravail jusqu'à l'épuisement professionnel. »

Autre point de vigilance, la frontière entre vie personnelle et professionnelle, devenue plus ténue « sous l'effet d'une sur-sollicitation des collaborateurs, souvent en dehors des horaires de travail de référence », complète Stéphane Pimbert. Cette perturbation de l’organisation spatiale et temporelle des salariés, « conduit bien souvent à un envahissement de la sphère privée domestique, possible source de tensions et de conflits au sein de la cellule familiale. Pour Emilie Vayre, la perception de tels conflits « est génératrice de troubles de la santé physique et mentale, d'absentéisme ».

Le télétravail intensif est aussi problématique du point de vue de l’accroissement de la charge mentale. Parmi les facteurs explicatifs du surengagement au travail, le sentiment pour certains salariés d’être redevables vis-à-vis de leur entreprise et de devoir fournir davantage d'efforts ; voire un sentiment de culpabilité lorsqu'ils se comparent à d'autres collaborateurs, qui peut « générer une forme de pression et les pousser à vouloir faire plus, faire mieux, à travailler sans limite, jusqu'à l'usure », poursuit l’experte.

Autre facteur aggravant : le désengagement de certains managers qui laisseraient les salariés « livrés à eux-mêmes, sans repères sociaux ou temporels pour s'organiser, sans savoir comment s'y prendre ni par où commencer, générant de l'anxiété et du stress », conclut Emilie Vayre.

Charlotte DE SAINTIGNON


Prévention : les obligations de l’entreprise

C’est à l’employeur qu’il incombe de se préoccuper à la fois des risques physiques occasionnés par le télétravail et des risques psychosociaux. Selon l’article L. 4121-1 du Code du travail, il est tenu de protéger la santé physique et mentale et la sécurité de ses collaborateurs. Le document unique d'évaluation des risques (DUER), rendu obligatoire, doit en rendre compte. « C'est le socle de la prévention dans l'entreprise », note Stéphane Pimbert, directeur général de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), qui doit se traduire sous forme d'un plan annuel d'actions de prévention.

Fort heureusement, les entreprises, conscientes de leur rôle, ont adapté le document à la crise sanitaire, « tant en ce qui concerne l'épidémie elle-même que le télétravail, conformément aux préconisations du protocole sanitaire du ministère du Travail », reconnaît l’expert. Pour regretter, néanmoins, que seules la moitié d’entre elles en établissent un, « dont une partie uniquement par crainte de l'Inspection du travail, et sans toujours écrire les plans d'actions qui devaient y être associés. Les entreprises doivent prendre conscience du fait qu'il ne s'agit pas seulement d'un document administratif, mais d'une base pour mettre en oeuvre des actions de prévention adaptées à des risques identifiés. »