Sobriété : sommes-nous prêts ?

La sobriété constitue l'une des voies indispensables pour décarboner nos sociétés. Mais les Français y sont-ils prêts ? La baisse des chauffages de l'hiver dernier ne doit pas faire illusion.

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De 19,9 à 19,3 degrés : l'hiver dernier, les Français ont bel et bien fait l'effort de baisser leur chauffage. Sont-ils prêts à poursuivre l'effort ? Et aussi, ce chiffre ne masque-t-il pas une réalité plus complexe et moins enthousiasmante ? Le 5 juillet, à Paris, lors d'un colloque consacré à « Quand la métropole se réchauffe de +4°C », organisé par l'AJE, Association des journalistes spécialisés dans l'environnement, Bertrand Charmaison, directeur d'I-Tésé, Institut d'étude et de recherche en économie de l'énergie du CEA, intervenait sur ce sujet.

Dans le débat public, le thème de la sobriété constitue une nouveauté : placé au centre de l'actualité l'été dernier, en raison de l'inquiétude à pouvoir se chauffer pendant l'hiver, il est ensuite passé en second plan. Toutefois, « nous pensons que ce sujet va s'installer dans le débat public », estime Bertrand Charmaison. Ce qui est déjà certain, en revanche, c'est que la sobriété constitue un enjeu crucial pour lutter contre le changement climatique. Des projections exposées par le chercheur le montrent. En France, d'après RTE, Réseau de transport d'électricité, à l'horizon 2035, la sobriété constitue l'un des facteurs indispensables pour équilibrer l'offre et la demande en électricité. Même constat à horizon 2050, pour atteindre la neutralité carbone. A même échéance, au niveau mondial, le 6 ème rapport du Giec estime que la demande doit impérativement évoluer si l'on veut obtenir une diminution de 40 à 70 % des émissions de gaz à effet de serre.

Cette importance de l'impact de la sobriété en fait un véritable enjeu de politique publique, et aussi, de connaissance, car le concept n'a rien d'évident. Aujourd'hui, sa définition la plus largement admise est celle de « la modération de la production et de la consommation d'énergie, de matière, de biens et services . La sobriété ne se limite pas aux écogestes du quotidien », note Bertrand Charmaison. Plus précisément, elle s'applique à tous les secteurs de consommation (énergie, alimentation, transports ...) et présente plusieurs dimensions. La sobriété peut être structurelle, quand elle nécessite des infrastructures (comme des pistes cyclables) ; dimensionnelle, quand le choix d'un achat individuel conditionne la consommation ( SUV versus petite voiture). Il existe aussi la sobriété d'usage, selon la manière dont on utilise les biens dont on dispose. Ou conviviale, comme avec l'achat d'une machine à laver en commun.

Des effets rebond « énormes »

Au delà de cette définition, un « distinguo fondamental » s'impose, tant il est lourd en conséquences, souligne Bertrand Charmaison. En matière de consommation énergétique, note le chercheur, « aujourd'hui, on constate une confusion entre efficacité et sobriété ». La première sous-tend une notion de performance, la seconde, de comportement. La différence entre les deux ? « L'effet rebond », précise Bertrand Charmaison. Dans le premier cas, une meilleure isolation d'un bâtiment peut générer l'envie de pousser la température jusqu'à 25 degrés, annulant le gain apporté par la technologie, voire, allant jusqu'à provoquer une augmentation de la consommation. Dans le second cas, l'exemple de l'hiver dernier, avec la baisse de la demande d'énergie constatée chez les ménages « a apporté la preuve que la sobriété est efficace », avance le chercheur.

Mais au delà de cette efficacité, des enquêtes menées auprès de ménages ont conduit à des constats dérangeants. En effet, elles ont observé trois types de comportements différents. Le premier est celui d'un comportement inchangé, les ménages estimant qu'il n'était pas de leur responsabilité d'agir. Le deuxième, citoyen : des ménages ont modéré leur consommation. Le troisième (dont l'ampleur reste méconnue) relève de la précarisation : certains se sont chauffés à 16 degrés, voire, pas du tout, par manque de moyens.

Par ailleurs, les travaux portant sur l'impact des comportements de vie sur la neutralité carbone restent encore relativement peu nombreux a constaté l'Observatoire Prométhée. Ce dernier a été mis sur pied en 2022 par l'Université Caen Normandie, Mines Paris, le CEA et d'autres organismes. Les sujets de recherche sont multiples : jusqu'où les individus sont-ils prêts à sortir de leur zone de confort ? Quels sont les leviers pour les y aider, par exemple, pour faire évoluer le désir des 60% de Français qui habitent en logement collectif et rêvent de l'individuel ? Assiste-t-on à une véritable prise de conscience écologique ou à une réponse à la crise ? Quelle est l'ampleur de la précarité constatée ? Concernant le télétravail, à priori vertueux, comment mesurer son effet rebond, potentiellement « énorme », s'il se traduit par des déménagements depuis Paris vers de grandes maisons à la campagne …