Solidarité : « Il faudrait que le Bureau du cœur devienne un réflexe... »

Les 200 entreprises participant à l'initiative de Bureaux du cœur accueillent des sans-abri, la nuit. L'association a conçu le dispositif comme une pièce qui s'intègre dans le parcours de personnes suivies par des spécialistes de l'insertion. Et selon des modalités viables pour les sociétés qui s’engagent.

Trois questions à  Pierre-Yves Loaëc, fondateur de l'association Bureaux du cœur (c) Bureaux du coeur
Trois questions à Pierre-Yves Loaëc, fondateur de l'association Bureaux du cœur (c) Bureaux du coeur

Quel immense enjeu de société adresse l'association Bureaux du cœur et quelle réponse avez-vous imaginée?

Aujourd'hui, en France, 300 000 personnes sont sans domicile, selon la Fondation Abbé Pierre. A leur mesure, les Bureaux du cœur s'efforcent d'apporter leur contribution à leur réinsertion. Le principe est simple : les entreprises volontaires accueillent une personne sans abri de manière temporaire. Pour cela, elles reconfigurent un espace dans leurs bureaux, par exemple en installant un lit escamotable ou un canapé-lit dans une salle de réunion. Les « invités » de l'entreprise sont des personnes encadrées par une association d'insertion, à l'image de « Entourage », ou «Permis de construire ». Elles répondent à certains critères comme d'être proches de l'emploi, majeures, sans problèmes d'addiction... Leur séjour peut durer de trois à six mois. Si nous avons choisi le terme d' «invité », c'est parce que l'objectif est de passer de l'accueil au logement. Nos bureaux n'en sont pas un : il faut être sorti à 8h, on ne peut pas mettre de décoration, ni recevoir des amis... . En revanche, par rapport à la rue, cette solution qui met à l'abri, en sécurité et en intimité apporte une vraie dynamique dans le parcours de réinsertion d'une personne qui se concrétise par un emploi et un logement. Notre taux de « sortie positive » – un job et un vrai toit – s'élève entre 85 et 90% environ.

Accueillir une personne sans abri dans ses bureaux, est-ce un engagement hors de portée d'une simple PME ou au contraire, un véritable projet d'entreprise ?

Je constate que les entreprises qui se sont mises à accueillir des « invités » ont continué de le faire. Les rares qui ont arrêté l'ont fait pour des raisons logistiques, comme un déménagement. Les bénévoles de Bureaux du cœur sont là pour accompagner l'entreprise dans sa démarche : présentation du projet aux salariés, aménagement des bureaux – en général simple et peu coûteux - démarches administratives est assurantielles, coordination avec l'association qui suit l'invité... Par ailleurs, - et c'est aussi la raison du fort taux de « sortie positive »- , nous sommes vigilants sur le choix des « invités ». Nous sommes conscients du fait qu'un chef d'entreprise doit retrouver la salle de réunion opérationnelle, le matin. En fait, les Bureaux du cœur constituent un véritable projet d'entreprise auquel participent aussi les salariés. Je note, d'ailleurs, qu'il n'est pas rare que ce soient eux qui en parlent à leur patron, lequel nous contacte ensuite... Cela devient une aventure de solidarité à laquelle chacun participe avec des gestes spontanés, sans le pognon – un coup de main pour écrire un CV, un plat donné...-. Il y a une logique virale. On a plus envie de prendre soin de ses amis, ses collègues... Dans mon entreprise, 60% de mes collaborateurs m'ont dit avoir évolué, avoir gagné en empathie. Comme projet d'entreprise, cela fait un peu plus sens qu'une journée de saut à l'élastique...

Après cinq ans d'existence, quelle ampleur a pris l'association ? Quelle dynamique observez vous ?

Présente dans 28 villes en France, ainsi qu'à Bruxelles, Barcelone et Lisbonne, l'association compte 100 bénévoles et 200 entreprises qui y participent. Depuis le début, il s'agit pour l'essentiel de PME, pour la plupart situées en ville. Mais cette année, quelques très grandes entreprises ont commencé à nous rejoindre. Et nous voyons aussi des start-up qui conçoivent spécialement l'aménagement de leurs bureaux en ce sens. Dans le secteur public, une CAF (Caisse d‘allocations familiales) participe à l'initiative et la commune de Saint-Sébastien-sur-Loire (Loire-Atlantique) vient de signer avec nous. Il s'agit de la première collectivité locale à le faire. Elles aussi commencent à réaliser que de nombreux locaux ne servent à rien 70% du temps, exactement ce temps qui serait le plus utile aux personnes à la rue. Ce potentiel d'espaces est immense ! Une prise de conscience se développe et elle est indispensable. En cinq ans, l'association a accueilli 350 personnes pour 40 000 nuits. Par rapport à ce que représente une nuit dans la rue, par rapport aux vies que nous avons contribué à transformer, cela nous rend assez fiers. Mais nous restons extrêmement humbles. Notre impact sur ce problème sociétal immense est mineur ; la tâche à accomplir reste immense . Il faudrait que le Bureau du cœur devienne un réflexe...