Guerre en Ukraine : la croissance et les entreprises sous le choc des retombées

Le 24 février dernier, la déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine a été un choc humain, mais aussi économique pour les entreprises françaises déjà fragilisées par deux années de crise sanitaire. L’association des journalistes des PME (AJPME) organisait une table-ronde, le 5 avril dernier, sur les impacts de la guerre en Ukraine sur le tissu des petites et moyennes entreprises.

Photo d'illustration Adobe Stock
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La croissance française serait amputée d’environ un point en 2022. En cause, l’impact fort de la guerre sur le pouvoir d’achat des ménages en France et dans le monde, et aussi sur les exportations à destination de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie. « Soit un PIB de 2,5% sur 2022, au lieu des 3,5% initialement anticipés », a avancé Sylvain Bersinger, économiste au cabinet Asterès. Au-delà des enjeux géopolitiques et humains face à la guerre en Ukraine, « c’est un gâchis économique dans une période de relance », a confié Alain di Crescenzo, président de CCI France et PDG du groupe IGE+XAO, éditeur de logiciels dédiés à la conception, la fabrication, mise en service et maintenance des systèmes électriques. Autre effet, la hausse de l’inflation estimée entre 3,8% et 6,5%. « L’inflation s’élèvera à 6,5% dans le cadre d’un scénario pessimiste où le prix des carburants augmenterait encore de 20%, et à 3,8% dans le cadre d’un scénario plus optimiste, si le prix de l’énergie reste à son niveau actuel sur l’ensemble de 2022 », a détaillé Sylvain Bersinger.

Pression sur les salaires

L’épée de Damoclès se concentre sur le risque inflationniste et sa répercussion sur les entreprises et les ménages. Pour lutter contre la baisse du pouvoir d’achat, les salariés réclament des hausses de salaire. Au global, on observe ainsi une augmentation de ces derniers de l’ordre de 5%. Une hausse à laquelle les entreprises, tiraillées entre l’envoléel des prix des matières premières, les difficultés d’approvisionnement et, pour certaines, la perte d’opportunités commerciales, ont dû mal à répondre. « Il y a une forte pression sur les salaires qui arrive en plus des augmentations prévues en début d’année. Beaucoup d’entreprises situées dans des zones rurales nous ont remonté les demandes de leurs collaborateurs d’augmenter les salaires, au vu des kilomètres qu’ils avaient à parcourir », a expliqué Alain di Crescenzo. En conséquence, certaines d’entre elles favorisent le télétravail, mais d’autres n’ont pas cette latitude.

Pour accompagner et soutenir les entreprises, CCI France a créé une plateforme afin de relayer les mesures du plan de résilience ciblées vers les entreprises et leur fournir les contacts de proximité nécessaires, via une carte interactive. Le site, mis en ligne fin mars , avait enregistré 20 000 visites, le 5 avril dernier. Fort des 3 600 personnes dédiées à l’appui aux entreprises sur le terrain, le réseau des CCI a réalisé des enquêtes flash pour faire remonter leurs doléances. Alain di Crescenzo relaie ainsi cet exemple d’une entreprise du secteur des transports qui, avec la hausse du coût de l’énergie, « paie plus de 2 000 euros de coûts supplémentaires par mois, pour un camion ». Même constat du côté de la CPME qui a sondé ses 243 000 entreprises adhérentes, via ses fédérations départementales. Matthias Fekl, président de la Commission internationale de la CPME et ancien ministre, cite ainsi l’exemple d’une entreprise spécialisée dans la fabrication de détergents qui importe des produits chimiques. Au vu de l’augmentation des prix de 25 à 60% de cette matière première et de la crainte d’une pénurie, elle risque l’arrêt de son activité et cherche à se diversifier, mais reste pour le moment coincée dans la diversification de son approvisionnement.

A plus long terme, la difficulté pour ces entreprises actives en Russie, en Ukraine ou en Biélorussie consiste à trouver d’autres débouchés et fournisseurs, pour sécuriser leur activité. Mais « la prospection de nouveaux marchés ne se fait pas en trois mois pour une PME », commente Béatrice Brisson, directrice des Affaires européennes et internationales à la CPME. Parmi les principales difficultés pointées par les entreprises, outre les questions liées à la logistique –une entreprise du centre de la France se retrouve ainsi avec une machine de 2,5 millions d’euros sur les bras qu’elle ne peut pas acheminer là-bas–, les entreprises s’interrogent sur le fait de devoir accepter ou non un paiement en roubles.

« Beaucoup risquent de passer à travers les mailles du filet »

Interrogé sur la question d’une augmentation potentielle du nombre de faillites, Matthias Fekl, relève que les difficultés ne seront pas seulement réservées aux PME et qu’« il y aura des entreprises coincées entre le marteau et l’enclume ». Alors que l’on comptabilisait 28 000 faillites en 2021, soit deux fois moins que dans une période normale avant la crise sanitaire, Allianz Trade assureur-crédit, envisage quelque 40 000 faillites, en 2022. Le plan de résilience, présenté par le gouvernement le 16 mars dernier, qui prévoit un certain nombre d’aides à destination des entreprises, pourrait en mettre certaines de côté en raison de critères trop rigides et des effets de seuil. « Beaucoup d’entreprises risquent de passer à travers les mailles du filet », prévient Béatrice Brisson. Notamment, celles très consommatrices d'énergie qui devront justifier que leurs dépenses de gaz et d'électricité représentent « au moins 3 % de leur chiffre d'affaires, et pourraient faire des pertes sur 2022 », pour bénéficier d’aides. La difficulté étant de simuler qu’elles seront en perte ou d’estimer un ratio d’énergie dans leur chiffre d’affaires pour pouvoir y prétendre. Pour Béatrice Brisson, il faut faire « du cas par cas », selon la situation de l’entreprise. Et de citer l’exemple d’un entrepreneur qui fait de l’agencement en Russie et en Ukraine, avec cinq chantiers sur place. Ayant dû fermer ses 30 ateliers de production en France, le chef d’entreprise souhaite, quant à lui, voir l’activité partielle longue durée prolongée. Autre écueil mis en avant par Alain di Crescenzo, le renforcement des PGE. « Au fur et à mesure que celui-ci est repoussé, les entreprises peuvent se voir attribuer une mauvaise inscription sur leur capacité à rembourser ». Matthias Fekl juge la mesure « intéressante mais dangereuse, car cela peut être une fuite en avant. Il faut inciter les entreprises à y avoir recours de manière pondérée ».


Charlotte DE SAINTIGNON